Du 1er avril au 1er octobre 2012, un couple de Circaètes Jean-le-Blanc Circaetus gallicus a élevé avec succès un jeune en Haut-Valais. Il s’agit de la première preuve de reproduction de l’espèce dans notre pays, attendue depuis l’augmentation régulière du nombre d’observations en Suisse dès les années 1990. Cette réussite a été possible premièrement grâce à une spécialisation sur la Vipère aspic Vipera aspis, qui constituait 83 % des proies. Une telle prédilection paraît toutefois rare chez le Circaète, qui est réputé éviter les vipères et préférer les grandes couleuvres. Le Circaète Jean-le-Blanc est la 218e espèce sauvage ayant niché en Suisse depuis 1800 et la première acquisition pour notre avifaune nicheuse depuis la publication du livre « Les oiseaux de Suisse ».
Signalé au XIXe siècle dans le Jura vaudois, neuchâtelois et soleurois ainsi que dans les cantons de Glaris, d’Uri, des Grisons et du Valais, le Circaète a presque complètement disparu de Suisse entre 1890 et 1930, après quoi un retour s’est manifesté. L’espèce n’a manqué que deux ans entre 1947 et 1993, et 1967 fut l’année la plus riche avec 28 observations enregistrées. Les observations se sont raréfiées dans le canton de Genève, suite à l’abandon partiel des sites de nidification sur le territoire français limitrophe. La même évolution est constatée au Tessin, se réduisant à seulement deux observations pour les années nonante, probablement en raison du déclin signalé en Italie. Paradoxalement, une augmentation du nombre d’observations en Valais, qui récolte 60 % des observations du pays, est sensible à la fin du XXe siècle. Depuis 1996, l’espèce est vue chaque printemps à Hucel F.
L’aire de nidification du Circaète couvre une grande partie du sud et de l’est de l’Europe, s’étendant plus à l’est jusqu’en Asie centrale et au sud jusqu’au Maghreb. Une population distincte, sédentaire, niche en Inde. Typiquement méditerranéen, il s’accommode également du climat continental du nord-est de l’Europe, remontant même jusqu’aux pays Baltes et le sud de la Sibérie occidentale. L’Espagne (env. 2’000 couples) et la France (env. 2’000 couples) hébergent 60 % de la population européenne, la Russie et la Turquie abritant également plusieurs milliers de couples. Migratrice, toute la population du Paléarctique occidental hiverne principalement dans la ceinture sahélienne, avec une prédilection pour les savanes d’acacias. Quelques individus hivernent dans le sud de l’Europe et en Afrique du Nord.
En Suisse, le Circaète est rarement observé ailleurs qu’en Valais central pendant l’été. En migration, il est régulier à Hucel F au printemps ainsi qu’au Fort-l’Ecluse (Ain) et au col de Bretolet VS en automne, parfois aussi dans d’autres sites de montagne comme le mont Sagne NE ou le col de Jaman VD. Dans la région genevoise, il niche encore plus ou moins régulièrement au Vuache (Haute-Savoie), mais a disparu du Salève (Haute-Savoie) et du Jura gessien (Ain), où il nichait encore jusque dans la première moitié du XXe siècle. Même s’il est probable que le Circaète nichait au XIXe siècle en Valais central, dans le Chablais vaudois et dans le Tessin méridional, il n’existe aucune preuve certaine de reproduction en Suisse : un œuf non daté, conservé au Musée de Sion, aurait été prélevé entre 1860 et 1890 dans la région de Nendaz VS ; en juillet 1900, deux adultes auraient été tués et un poussin capturé à la Tête de Sauquenil sur Roche VD, mais ces spécimens ont disparu ; l’espèce aurait probablement aussi niché en 1894 au Mondini di Pura/Malcantone TI et au XIXe siècle dans le Jura neuchâtelois. Des couples d’oiseaux immatures se forment et paradent parfois, comme par exemple en juin et juillet 2000 à Mazembroz/Fully VS, mais ces préludes n’ont jamais eu de suite. L’espèce niche régulièrement dans le val d’Aoste I, au sud du Valais.
Les Circaètes disparaissent rapidement dans le courant du mois d’août, des migrateurs étant encore observés en septembre et jusqu’à fin octobre, exceptionnellement jusqu’à fin novembre. Les avant-coureurs du printemps, généralement des adultes, sont occasionnellement observés dans la seconde moitié de mars, le pic du passage se situant dans la première moitié d’avril. Le nombre d’observations augmente à nouveau régulièrement dès fin mai avec l’arrivée d’immatures estivant en Valais central, en marge des zones de reproduction, pour culminer à fin juillet.
Le Circaète a la particularité, unique chez les rapaces européens, de se nourrir presque exclusivement de reptiles, principalement des couleuvres, et dans une moindre mesure des vipères, des lézards, des orvets, des batraciens et des micromammifères. En Suisse, la Couleuvre d’Esculape Elaphe longissima, la Couleuvre verte et jaune Coluber viridiflavus et le Lézard vert Lacerta viridis semblent être ses proies de prédilection. Son régime alimentaire spécialisé le confine aux coteaux les plus chauds et secs, pourvus de pierriers ou d’affleurements rocheux, principalement sur l’adret valaisan entre Martigny et Brigue où quelques immatures estivent régulièrement. Diurne et vespéral, il les chasse généralement en vol stationnaire contre le vent à une hauteur de plusieurs dizaines, voire centaines de mètres. Une fois sa proie repérée, il se laisse tomber, retenant d’abord sa chute par paliers, puis relevant les ailes tout à fait pour accélérer dans la phase finale. Les serpents sont systématiquement avalés entiers, la tête la première. Exceptionnellement, un Circaète et une couleuvre ont été trouvés morts enserrés ; un autre s’est mépris en tentant de capturer un tuyau d’arrosage ! Flegmatique, le Circaète vole généralement pendant les heures chaudes de la journée, mais aussi à la tombée de la nuit, et peut se reposer pendant plusieurs heures sur un rocher ou un arbre, surtout par temps pluvieux. Silencieux lorsqu’il est solitaire, le Circaète émet des cris flûtés « kii-yuk » au contact de ses congénères lors de poursuites aériennes. Les observations concernent généralement des oiseaux isolés, plus rarement 2-4 individus, exceptionnellement 5 le 10 avril 1956 au-dessus du delta de la Maggia TI.
Il n’existait jusqu’à présent aucune preuve formelle de reproduction sur territoire suisse. Le Circaète pond un gros œuf unique en avril (en général avant mi-avril), couvé principalement par la femelle pendant un mois et demi, après quoi deux mois et demi sont encore nécessaires à l’élevage du jeune au nid par le couple. L’aire est généralement construite entre 3 et 30 m de hauteur sur un grand arbre au flanc d’un ravin ou dans une combe boisée. Territorial, le couple peut cependant chasser jusqu’à 10-15 km de son aire. Dans la première moitié du XXe siècle, on comptait 4-5 couples sur environ 400 km2 de montagnes aux environs de Genève.
L’intensification de l’agriculture, avec l’utilisation immodérée de pesticides néfaste aux reptiles, est la cause principale du déclin de l’espèce dans de nombreuses régions en Europe. L’urbanisation croissante des territoires de chasse potentiels et l’augmentation de la surface forestière compacte en sont également en partie responsables. La chasse et le pillage des nids par les collectionneurs d’œufs a grandement contribué à sa disparition dans la région genevoise, au Salève notamment. L’extension des vignobles en Valais grignote les zones buissonnantes où se cachent les reptiles. La mise en jachère des bordures de vignes, la préservation des haies et la création de bandes abris sont une mesure favorable aux reptiles, et par conséquent à l’aigle des serpents. Anecdote peu banale pour notre pays, un Circaète a été victime d’un attentat : le pylône de la ligne à haute tension sur lequel il dormait a été dynamité pendant la nuit du 24 au 25 juillet 1961 près de Saxon VS !