MAUMARY L, DUPERREX H, CLOUTIER J, VALLOTTON L. 2013
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PREMIÈRE NIDIFICATION DU CIRCAÈTE J EAN LE-BLANC CIRCAETUS GALLICUS EN SUISSE OBSERVATIONS SUR LA BIOLOGIE DE REPRODUCTION , EN PARTICULIER LE RÉGIME ALIMENTAIRE L IONEL M AUMARY , H UBERT D UPERREX , J ACQUES C LOUTIER & L AURENT V ALLOTTON Jeune Circaète Circaetus gallicus avalant une Vipère aspic Vipera aspis femelle. Haut-Valais, 12 août 2012. Faisant suite à des observations de plus en plus régulières du Circaète, en Suisse et en Valais en particulier, un couple s’est reproduit pour la première fois, dans le Haut-Valais. Un suivi réalisé grâce à un affût photographique 1 , au cours de la deuxième partie de l’élevage du jeune au nid, a permis de préciser le régime alimentaire de ce couple, en l’absence des proies ordinairement prisées par l’espèce. 1 Ndlr – Une fois n’est pas coutume, nous publions plusieurs photographies au nid, d’une espèce rare de surcroît, en couverture et dans cet article. Nous y consentons car elles apportent un éclairage intéressant sur l’écologie d’un couple de Circaètes nichant en marge de son aire de reproduction habituelle. Les précautions prises par les observateurs sont conformes au code de conduite que nous recommandons (cf. Nos Oiseaux 46 (1999) : 209-210 et www.ornitho.ch) et à la prudence avisée dont devrait faire preuve tout ornithologue-photographe choisissant d’approcher son sujet. A l’heure où vous lirez ces lignes, ce couple de Circaètes s’apprêtera peut-être à retrouver son site de nidification valaisan. Pour permettre à ces oiseaux pionniers de mener à bien de futures nichées, à l’écart de toute émulation que pourraient susciter ces images exclusives, nous en appelons à la responsabilité de tous ceux que cette nouvelle pourrait attirer sur les lieux : la nidification d’un rapace sensible aux dérangements – comme l’est le Circaète – peut aisément s’observer à grande distance, grâce à la qualité des instruments optiques dont nous disposons. (beP) N OS O ISEAUX 60 : 3-24 – 2013L’un des milieux de chasse privilégié par le mâle de Circaète Circaetus gallicus en 2012, la forêt incendiée de Loèche, en août 2003. Le 1 er avril 2012, Thomas Nierle photographie et signale deux Circaètes Jean-le-Blanc dans le Haut-Valais, identifiés comme adultes par LM. Cette observation, la plus hâtive d’un couple dans notre pays, laissait suspecter une nidification dans cette région potentiellement favorable. Le 7 avril, LM en informe HD, qui observe le couple dès le 8 avril. HD et LM ont tous deux pu confirmer la nidification indépendamment, les 12 et 13 avril respectivement. Ces observations marquent le point de départ de notre étude, dont le but principal était de connaître le régime alimentaire en Fig. 1 – Répartition des heures d’affût (N = 247,5) au nid du Circaète Circaetus gallicus, du 12 juillet au 19 août 2012. 4 l’absence notoire de deux grandes proies favorites du Circaète dans le sud de la France, les Couleuvres verte-et-jaune Hierophis viridiflavus et de Montpellier Malpolon monspessulanus. D’autres aspects de la biologie de reproduction, en partie nouveaux, ont également pu être mis en évidence. Météorologie – Avril fut peu ensoleillé mais légèrement plus chaud que la moyenne, avec des tempêtes de fœhn à la fin du mois. Mai a été 1,5-2,5° C plus chaud que la norme, avec des rafales de fœhn au début du mois. Les précipitations ont été inférieures à la moyenne. Le mois de juin a été 2-3° C plus chaud que la norme, notamment dans le sud de la Suisse. Les précipitations ont été déficitaires dans la vallée du Rhône. Juillet s’est montré plus chaud, avec toutefois des précipitations régulières et parfois importantes vers la fin du mois, accompagnées d’un rafraîchissement brutal. La chute de température la plus abrupte a eu lieu entre les 27 et 28 juillet, lorsque les valeurs maximales sont passées de 35 à 22° C. Les températures sont vite remontées dès le 1 er août avec 33° C, marquant le début d’une longue période ensoleillée et chaude, avec une phase caniculaire entre le 15 et le 20 août. La fin du mois fut nettement plus fraîche etM AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc pluvieuse, les températures tombant à 16° C le 31. Les premiers jours de septembre furent frais mais le réchauffement ne se fit pas attendre pour atteindre 25° C le 5 avec des orages. Une irruption massive d’air froid s’est manifestée du 11 au 19 septembre, avec l’abaissement des chutes de neige à 1600 m. Le 23 septembre, le retour du soleil et le fœhn ont réchauffé l’atmosphère jusqu’à 26,8° C, avant une période pluvieuse et froide pendant la dernière semaine. Septembre a été en moyenne environ 1° C plus chaud que la norme 1961-1990. L’ensoleillement a toutefois été légèrement déficitaire (M ÉTÉO S UISSE 2012). Matériel et méthodes D’avril au 11 juillet, toutes les observations ont été effectuées à 2,5 km du nid, à l’aide d’une longue-vue 20-60 x et de photographies faites au téléobjectif. Dès le 12 juillet, alors que le jeune n’était plus couvé par les adultes, un affût a été installé au sol dans la forêt, à environ 60 m du nid, à l’insu des adultes, grâce à la configuration du site. En effet, une petite lucarne dans la forêt offrait une vision exceptionnelle sur le nid depuis le sol, tout en garantissant une discrétion absolue. A aucun moment les oiseaux n’ont été perturbés dans leurs activités car l’accès à l’affût était entièrement caché dans la forêt. Les allées et venues des adultes ont été photographiées et filmées à l’aide d’un téléobjectif (équivalent 1120 mm) permettant d’identifier toutes les proies. Des enregistrements automatiques ont également été effectués, à quelques occasions, à l’aide d’une caméra haute définition prenant une image/seconde (films accélérés). Cette étude se base sur 372,5 heures d’observation réparties sur 55 jours, dont 247,5 heures en 29 jours dans l’affût par LM et JC jusqu’au 19 août (soit 2 jours après l’envol du jeune ; fig. 1). Lorsque l’attente se prolongeait dans la soirée, l’observateur a passé la nuit dans l’affût, afin de ne jamais risquer d’être vu par les adultes, qui dormaient dans des arbres à proximité du nid. Le domaine vital a été calculé en traçant un polygone entre les données extrêmes disponibles sur www.ornitho.ch, ajoutées à nos propres observations. Nidification Domaine vital et territoire de chasse Le domaine vital de ce couple s’étendait sur près de 14 km en longueur et 7 km dans sa plus grande largeur, dans les districts de Loèche et de Rarogne occidental, sur une surface minimale de 80 km 2 . Les observations étaient comprises entre Varen (LM) à l’ouest et Niedergesteln (LM) à l’est, Torrentalp (M. Neale) au nord et Oberems (L. Bosco) au sud, essentiellement d’après les déplacements du mâle – la femelle n’a été observée que rarement en chasse. A cet endroit, la vallée du Rhône est formée d’une plaine d’un kilomètre de large à 620 m d’altitude, encadrée au nord et au sud de montagnes culminant à plus de 3000 m. Les bas-coteaux séchards de l’adret sont d’aspect très naturel, recouverts d’une mosaïque de végétation de type méditerranéen, alternant entre les steppes rocheuses buissonnantes, les dalles nues et des forêts dominées par les pins et les chênes surplombant les vignobles. Toutes les zones de transition végétales sont représentées jusqu’à l’étage alpin, avec une urbanisation et une pression agricole et sylvicole relativement faibles. Le vaste territoire rendait la détection des adultes en chasse très aléatoire, d’autant plus qu’ils guettaient le plus souvent à l’affût au sommet d’un arbre sec. Site de nid Le nid de branchettes sèches, d’un diamètre externe estimé à environ 1 m, était situé au sommet d’un Pin sylvestre Pinus sylvestris tabulaire de 25 m et d’une circonférence de 1,82 m à 1 m de hauteur, dans une forêt de conifères très pentue et dense. L’arbre hébergeant le nid était à 1018 m d’altitude, au cœur d’un massif très vaste et uniforme, à l’écart des habitations et des dérangements. Cette forêt jouit d’une tranquillité quasi absolue, étant très rarement parcourue par l’homme. Elle n’a manifestement pas été exploitée ni même entretenue depuis plusieurs décennies, comme en témoignent de nombreux arbres secs sur pied ou tombés au sol. Quatre autres 5d) Plumage des Circaètes Circaetus gallicus adultes : a) mâle en août 2008, b) mâle en avril 2012 ; c) femelle en avril 2012 ; d) femelle en juin 2010. Par rapport au mâle, la femelle se reconnaît à son plastron plus étendu et sombre, ainsi que des striations plus denses et larges sur le ventre et le dessous des ailes. espèces de rapaces y nichent : Bondrée apivore Pernis apivorus, Buse variable Buteo buteo, Epervier d’Europe Accipiter nisus et Autour des palombes Accipiter gentilis. L’Aigle royal Aquila chrysaetos n’a, par contre, pas été observé dans cette partie du massif. Comportement des adultes Le mâle présentait un plumage très pâle. Sa gorge était striée de flammèches brunes s’évanouissant dans sa poitrine blanche presque immaculée. Ses culottes étaient blanches, presque sans taches. Il paraissait si clair que les observateurs le signalaient souvent comme immature et non comme adulte. D’après les photographies réalisées au cours des années précédentes, cet oiseau était présent dans la région de Loèche depuis 2008 au moins (probablement déjà en 2007), chassant notamment dans la forêt de Bannwald, qui a brûlé en août 2003. Il était reconnaissable aux motifs de son plumage et à son comportement de chasse à 6 l’affût plutôt qu’en vol sur place. La femelle, nettement plus grande, présentait un plumage classique à gorge sombre uniforme, bien délimitée de la poitrine et du ventre entièrement striés de brun, y compris les culottes. Son bec était plus long et plus crochu que celui du mâle. Les comparaisons photographiques incitent à penser qu’elle était déjà présente dans la région de Loèche en 2010. Incubation Dès le 13 avril, jour de ponte de l’œuf unique, le mâle ravitaillait la femelle couvant au nid au moins deux fois par jour avec des serpents. Lors de périodes pluvieuses et venteuses, il revenait sans proie et relayait alors la femelle, qui partait chasser à son tour. Cette dernière a assuré la majeure partie de l’incubation. Ses absences pouvaient se prolonger plusieurs heures (jusqu’à 5 h 15 au moins le 26 avril), pendant lesquelles le mâle se chargeait de l’incubation. Au moment de l’échange des partenaires, l’œuf pouvait rester non protégé pendant plusieurs minutes, c) b) a)M AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc le mâle quittant parfois le nid avant l’arrivée de sa partenaire. En moyenne une fois par heure, l’adulte couvant se relevait et se penchait dans le nid, apparemment pour retourner l’œuf à l’aide de son bec (jusqu’à trois fois par heure ; plus grand écart entre deux retournements : 2h15). Les tempêtes de fœhn de fin avril ont rendu l’incubation inconfortable, surtout pour le mâle, qui se retournait sans cesse. Il ne paraissait pas aussi profondément calé dans le nid que la femelle, avec une prise au vent plus importante. Lorsque le mâle nourrissait la femelle, les serpents n’étaient pas avalés entièrement mais pendaient au bout de son bec, bien visibles. Cela permettait probablement un gain de temps au moment du transfert, le mâle se posant à peine une seconde sur le nid pour régurgiter le serpent. La femelle se levait alors pour manger son repas, restant debout parfois jusqu’à 5 min avant de reprendre la couvaison. Le nourrissage le plus tardif a été observé à 18 h 20. Le soir, vers 18 h 30-19 h, les deux adultes se retrouvaient parfois au nid, où ils se faisaient quelques révérences face à face, sans apport de proie. Le mâle allait alors dormir dans un arbre non loin. Le mâle, bien plus fréquemment observé en chasse que la femelle, utilisait relativement peu le vol stationnaire élevé, si communément observé dans le sud de la France, le cas échéant seulement pendant de courtes périodes. Il inspectait méthodiquement le terrain par des allées et venues à faible hauteur avant de se percher sur un poste d’affût (le plus souvent au sommet d’un arbre sec), puis fondre sur sa proie. On le trouvait typiquement pendant deux jours consécutifs dans la même zone, avant qu’il ne change de secteur. Cette méthode de chasse, proche du relief, le rendait d’autant plus difficile à repérer et à suivre sur de longues périodes. Elevage au nid Après avoir relayé le mâle au nid dans l’après-midi du 29 mai, la femelle reste debout 9 min et se penche dans le nid ; au même moment le mâle, d’ordinaire silencieux, crie au-dessus des terrains de chasse. Le poussin est probablement en train d’éclore (LV). Le 30 mai, les adultes ne couvent plus. Pendant le premier mois après l’éclosion, le mâle ravitaillait la famille, la femelle distribuant les morceaux de serpents à son rejeton. Du 12 juillet au 19 août, depuis notre poste d’affût, 115 visites d’adultes au nid ont été observées, dont 112 apports de proies (fig. 2) et trois de rameaux verts. Le nombre de nourrissages culminait entre 11 h et 14 h, puis il diminuait dans l’après-midi, avant de reprendre entre 18 h et 20 h. Le ravitaillement du jeune au nid était alors principalement assuré par le mâle entre 9 h 25 et 20 h 50 (63 % des nourrissages), alors que la femelle n’a nourri qu’entre 10 h 41 et 18 h 56. C’est le mâle aussi qui a rechargé le nid avec des rameaux verts de Pin sylvestre, Mélèze Larix decidua et bouleau Betula sp., toujours le matin (entre 8 h 30 et 11 h 47). Le 14 juillet, la femelle est venue à l’aire, alors que le mâle venait de s’y poser pour nourrir le jeune. Elle a tenté de saisir la vipère dépassant du bec du mâle, mais ce dernier a refusé de la lui donner et s’est envolé. Il est revenu nourrir le jeune quelques minutes plus tard, une fois la femelle partie. Le mâle ne restait souvent qu’une dizaine de secondes au nid, en moyenne 23 s, en excluant un nourrissage de 5 min lorsqu’il a amené un poussin de Gélinotte des bois Bonasa bonasia (cf. tabl. 1). La femelle restait souvent plus de 20 s (38 s en moyenne) et prolongeait parfois ses visites jusqu’à 4 min. Elle pouvait reprendre le serpent tombé sur la plate-forme du nid pour le présenter à son jeune. Les serpents étaient apportés plus ou moins avalés tête la première, laissant le plus souvent seulement la queue dépasser du bec. Par contre, la Grenouille rousse Rana temporaria, ainsi que les poussins de Lagopède alpin Lagopus muta et de Gélinotte des bois (cf. tabl. 1), ont été apportés dans les serres. Dès le 23 juillet, alors que la température était montée à 34° C à midi, la femelle surtout a apporté des vipères humidifiées (26 pour la femelle contre 13 par le mâle). Cela se produisait lorsque la température était supérieure ou égale à 29° C. Aucun abreuvage direct n’a été observé. Malgré la situation très exposée du nid, les adultes n’ont pas dû protéger le jeune du soleil en lui prodiguant de l’ombre dans la dernière phase de l’élevage au nid, comme on l’observe parfois dans le sud de la France (J OUBERT 2001a). 7La femelle criait parfois lorsqu’elle arrivait à proximité du nid ou sur le nid, d’une voix plus grave que le jeune quémandant : « îî-ô ». Le mâle est resté silencieux près du nid pendant toute la période d’affût. Après l’envol du jeune Le jeune s’est envolé pendant la matinée du 17 août pour se percher au sommet d’arbres proches du nid. A midi, le mâle est arrivé au nid avec une Vipère aspic, le jeune quémandant sur un arbre voisin. Le jeune s’est alors Fig. 2 – Nombre de nourrissages horaires (N = 112) du mâle et de la femelle Circaètes Circaetus gallicus (heure d’été GMT+ 2) du 12 juillet au 19 août 2012. Fig. 3 – Emploi du temps du jeune Circaète Circaetus gallicus à l’aire, 18 h durant, réparties entre les 26 juillet, 3 et 4 août 2012. 8 envolé comme pour rejoindre l’aire mais a raté sa cible. Le mâle a trituré le serpent pendant 7 min, comme pour le faire cesser de bouger, avant d’aller nourrir son jeune sur une grosse branche. En effet, le nourrissage était devenu plus délicat hors du nid, les serpents risquant de tomber au sol au moment du transfert. La femelle est arrivée à 12 h 30, a trituré aussi sa vipère pendant 43 min, laps de temps qui l’a vue partir et revenir huit fois au nid tout en appelant son rejeton. Elle s’est finalement envolée une dernière fois, en emportant le serpent dans les serres et non dans le bec, peut-être pour faciliter son transfert au jeune sur une branche. Elle est revenue une dernière fois au nid 7 min plus tard, observant le fond du nid et les alentours en se retournant tous azimuts pendant 15 min avant de s’envoler définitivement. La femelle n’a plus été revue par la suite. Le mâle est revenu au nid à 19 h 15 avec une grande vipère, qui l’a occupé jusqu’à la nuit. Le lendemain matin, il faisait sa toilette sur un arbre à 500 m du nid, puis, à 10 h 30, il est allé dénicher un serpent (probablement la même vipère que le jour précédent) dans la couronne d’un Pin sylvestre, apparemment caché là pour la nuit. Le 19 août, il repassait encore par le nid avant d’aller nourrir son jeune (même lorsque ce dernier se trouvait entre lui et le nid), l’incitant vraisemblablement à trouver une situation favorable sur une grosse branche basse pour recevoir un serpent. A partir du 20 août et jusqu’au 6 septembre, le mâle nourrissait son jeune dans un rayon de 500 m autour du nid. Dès le 7 septembre, il le ravitaillait sur de gros rochers bien dégagés à 3 km de l’aire, où les deux oiseaux se sont retrouvés quotidiennement par la suite, toujours dans le même secteur de l’adret. Le dernier nourrissage a été observé le 28 septembre vers midi. Le 1 er octobre, le mâle a plané pendant 10 min à proximité du site où son jeune l’attendait habituellement, une femelle de Vipère aspic pendant au bout de son bec, puis il a longé le coteau de long en large en exagérant l’amplitude de ses battements d’ailes, comme pour se signaler. Le jeune demeurant invisible, il s’est posté 3 min au sommet d’un arbre sec pour scruter les alentours, puis il s’est envolé pour prendre de la hauteur et rejoindre des Milans royaux Milvus milvus en migration, la vipère dépassant toujours du bec. Il n’a plus a été revu lors de contrôles les jours suivants.M AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc Jeune Circaète Circaetus gallicus à l’aire, à l’âge de six semaines. Haut-Valais, 12 juillet 2012. Comportement du jeune Le plumage du juvénile était classique, la gorge étant brun-roux unie et bien délimitée de la poitrine striée de brun. Il n’est pas possible de différencier les mâles des femelles en plumage juvénile sans l’aide de la biométrie (J ALBY et al. 2012). Séjour au nid Du 12 juillet au 17 août, le jeune passait près de la moitié de son temps couché dans le nid à observer les alentours. L’autre moitié, il était debout à observer ou à se toiletter. Les 26 juillet, 3 et 4 août, son emploi du temps a été minuté avec précision durant 18 heures en tout (fig. 3), à l’aide d’un film accéléré à 1 image/seconde. Il en est ressorti que le jeune passait environ 40 % de son temps couché dans le nid, 30 % à se toiletter debout et 17 % à observer debout. Les exercices de musculation des ailes pour le vol se déroulaient surtout lorsque le vent se levait dans l’après-midi et ne l’occupaient guère plus de 3 % de son temps. Il ne dormait que rarement pendant la journée (moins de 1 % du temps) et restait attentif. Il ne s’endormait vraiment qu’après la tombée de la nuit, le bec sous les plumes du manteau. Plusieurs fois par jour, il a dû faire face aux attaques répétées d’un Autour des palombes juvénile né à proximité, adoptant des postures d’intimidation en criant (cris différents que lors des quémandes et sur un rythme plus rapide). Il s’est étiré les ailes 60 fois, soit plus de 3 fois par heure. A plusieurs reprises, il s’affalait dans le nid, ailes ouvertes, ou se couchait sur un côté pour étendre l’aile et la patte du côté opposé, simultanément. A la vue d’un adulte arrivant pour le nourrir, il quémandait en criant avec insistance « hîî-u, hîi-u, hîî-u ». Au fur et à mesure que l’adulte s’approchait, les cris se faisaient de plus en plus pressants, passant à une cadence de 1 à 2 par seconde, le jeune commençant alors à agiter ses ailes en se penchant vers l’avant, dos voûté. Il repérait l’adulte venant le nourrir en général plus d’une minute avant son arrivée, parfois jusqu’à 3 min plus tôt. Il quémandait parfois au passage d’une Buse variable, d’un 9Apports, par le mâle, d’une jeune Gélinotte des bois Bonasa bonasia (à gauche) et d’un poussin de Lagopède alpin Lagopus muta (à droite, dans le bec du jeune). Haut-Valais, 1 er août et 17 juillet 2012. timbre proche de celui du Bouvreuil pivoine Pyrrhula pyrrhula mais de manière bien plus audible (portée de 300 m). Lorsqu’un adulte se posait au bord du nid, le jeune se précipitait sur la queue du serpent dépassant plus ou moins du bec de l’adulte pour l’extraire de son jabot. L’opération prenait en général moins d’une dizaine de secondes, mais pouvait se prolonger pendant une minute lorsque le serpent était difficile à dégorger. Il le bloquait alors d’une patte en s’arc-boutant dans le nid, tout en tirant avec le bec. Une fois le serpent tombé sur la plateforme de l’aire, le jeune le reprenait par la tête et l’avalait généralement en moins de 30 s, rarement jusqu’à 3 min. Il commençait souvent à avaler les vipères par la nuque, la tête repliée vers l’arrière. Lorsqu’elles n’étaient pas trop grosses, il pouvait les prendre par le milieu du corps et les avaler entièrement repliées. Une vipère a même été gobée à l’envers, la queue la première. A trois reprises, le jeune n’a pas mangé le serpent immédiatement après le nourrissage mais s’est couché dessus pour s’en occuper une ou deux heures plus tard. A partir de fin juillet, il a commencé à dépecer les 10 serpents en retirant des lanières de peau ou en extrayant les viscères, comme pour « goûter » avant de finir par les avaler. Il ouvrait le serpent soit par le cloaque soit par la bouche. Aucun rejet de pelote n’a été observé. Emancipation Dès son envol le 17 août et jusqu’au 28 septembre au moins, le jeune a été nourri exclusivement par son père, dont il paraissait totalement dépendant. Du 19 août au 6 septembre, il survolait le site de nidification sans s’en éloigner de plus de 500 m, attendant le retour de son père. Il se faisait régulièrement houspiller par le jeune Autour des palombes né dans la même forêt. Il effectuait des vols glissés en direction des terrains de chasse, puis se ravisait et retournait dans le secteur du nid. Dès le 7 septembre, le jeune a rejoint son père sur un coteau sec à proximité des lieux de chasse. Il est resté au même endroit pendant trois semaines, ne s’éloignant guère à plus de 500 m d’une petite combe où son père venait le nourrir plusieurs fois par jour sur des rochers. Il l’accueillait avec les mêmes « hîî-u » qu’il poussait lorsqu’il était encore au nid. Ses crisM AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc Tabl. 1 – Proies apportées à l’aire par le couple de Circaètes Jean-le-Blanc Circaetus gallicus, du 12 juillet au 19 août 2012. Proies Mâle Vipère aspic Vipera aspis Orvet fragile Anguis fragilis Couleuvre d’Esculape Elaphe longissima Coronelle lisse Coronella austriaca Couleuvre à collier Natrix natrix Grenouille rousse Rana temporaria Lagopède alpin Lagopus muta Gélinotte des bois Bonasa bonasia 55 5 4 2 1 1 1 1 38 1 1 2 93 6 5 4 1 1 1 1 Total 70 42 112 de quémande insistants ont attiré la curiosité des vendangeurs au pied du coteau, qui ont remarqué la présence du grand rapace. Entre les nourrissages, le jeune passait son temps à observer les alentours depuis le sommet d’un arbre sec ou à planer dans le ciel, parfois houspillé par des Buses variables, qu’il évitait par quelque acrobatie. Il n’a jamais été observé en train de chasser, mais jouait parfois avec des objets qu’il ramassait au sol. Il n’accompagnait pas son père à la chasse, mais s’exerçait au vol stationnaire, suivant l’exemple paternel. Lorsque le mâle pratiquait le vol stationnaire à la vue de son jeune, il semblait d’ailleurs que cela n’avait pas d’autre but que de l’inciter à l’imiter, car cela n’a jamais évolué vers une scène de chasse. Femelle Total moyens de proies s’élèvent à 4,0 (1-8) par jour et à 0,47 (0,1-0,8) par heure. En extrapolant aux 11,5 heures de nourrissage potentielles durant une journée complète, on obtient une moyenne quotidienne de 5,4 proies (1-9) à même cadence horaire (fig. 4). Le nombre et la nature des proies ont cependant considérablement varié en fonction des conditions météorologiques. Pendant la période pluvieuse des 28 et 29 juillet, les adultes ont apporté trois Orvets, une Coronelle lisse et seulement deux Vipères aspics, le jeune n’ayant même reçu qu’un Orvet en 8 heures d’observation le 28 juillet. Inversement, le plus grand nombre de proies a été apporté par temps chaud et ensoleillé, le 9 août : huit Vipères aspics (cinq du mâle et trois de la femelle) en dix heures d’observation. Tôt le matin, le mâle avait également Régime alimentaire Composition Sur 112 proies apportées au nid (toutes identifiées), du 12 juillet au 19 août, 109 (97 %) étaient des serpents et Orvets fragiles Anguis fragilis (tabl. 1). Les 3 % restants sont constitués d’un poussin de Lagopède alpin, âgé de quelques jours et apporté le 17 juillet, d’un poussin de Gélinotte des bois d’environ un mois le 1 er août et d’une Grenouille rousse. Le mâle a apporté la majorité des proies (70, soit 63 %) et une plus grande diversité d’espèces (tabl. 1). L’absence de lézards est surprenante, mais peut-être que ceux-ci ont été ingurgités directement sur le lieu de chasse par les adultes, comme cela a été observé une fois le 13 avril. Durant les heures d’affût, les nombres Fig. 4 – Nombre de proies apportées au nid (N = 112) chaque jour (ou partie de journée) d’observation (12 juillet-19 août) et estimation du nombre de proies par journées complètes de nourrissage (extrapolée à 11,5 h). Les absences de proies correspondent aux journées sans observation (cf. fig. 1). 11Circaète Circaetus gallicus mâle apportant un Orvet Anguis fragilis à son jeune. Haut-Valais, 29 juillet 2012. apporté une branche de bouleau, ce qui porte à neuf le nombre de visites au nid ce jour-là. Quatre des cinq Couleuvres d’Esculape ont été apportées en soirée (18h57-20h50), excepté une à 14 h 58. Les nourrissages les plus rapprochés étaient séparés de 4 min seulement (18 h 21 par la femelle et 18 h 25 par le mâle le 30 juillet). La diminution brutale du nombre d’apports le 15 août (cf. fig. 4) pourrait correspondre au sevrage incitant le jeune à quitter le nid, ce d’autant plus que les conditions météorologiques étaient propices à la chasse aux serpents ce jour-là. En outre, hors du cadre du suivi à l’aire, grâce à des documents photographiques réalisés sur les terrains de chasse, nous avons pu noter que le mâle a nourri la femelle au nid avec une Coronelle lisse le 13 avril (après avoir lui-même ingurgité un Lézard vert Lacerta (viridis) bilineata et un petit serpent), et qu’il a apporté au moins cinq serpents (dont une Vipère aspic femelle) à son jeune entre le 19 août et le 1 er octobre. L’estimation minimale du nombre total de 12 serpents capturés pour nourrir cette famille de Circaètes, du 1 er avril au 1 er octobre 2012, peut être calculée de la manière suivante : chaque adulte aurait ingurgité au moins deux reptiles par jour, d’avril à fin août (estimation d’après nos observations sur les terrains de chasse et d’après la littérature), seulement le mâle en septembre ; le jeune a reçu en moyenne trois reptiles quotidiennement pendant le premier mois, puis cinq en juillet et août. En septembre, il a encore reçu de son père probablement au moins trois reptiles par jour. On obtient ainsi un total de 1162 reptiles, dont plus de 900 Vipères aspics. Remarques sur les serpents Tous les serpents amenés à l’aire étaient entiers, la tête généralement écrasée ou la nuque sectionnée. La plupart d’entre eux se tortillaient au point de paraître vivants, même capables d’avancer dans le nid. Le bout de la queue s’enroulait souvent autour du bec du jeune quand il finissait de les avaler. Les plus grosses vipères ne bougeaient toutefois plusM AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc lorsqu’elles ont été apportées au nid. Il semble donc que certaines vipères (les plus dangereuses ?) étaient « mieux tuées » que d’autres. Les Orvets et couleuvres étaient souvent les plus agités dans le nid, probablement juste assommés. Deux vipères venaient d’avaler une proie, ce qui laisse penser qu’elles ont été capturées pendant une phase de digestion. Un mâle d’Aspic avait ses deux hémipénis sortis et a donc probablement été capturé pendant l’accouplement. Sur 79 vipères dont le sexe a pu être déterminé, 43 (54 %) étaient des mâles. Chez l’Aspic, les sexes se reconnaissent assez facilement, y compris sur photographies : la femelle présente une queue très courte, bien plus fine que le reste du corps, alors que celle-ci se rétrécit régulièrement chez les mâles. Ces derniers présentaient en outre une robe à taches noires bien contrastées, les motifs étant généralement plus effacés chez les femelles. Seules deux vipères mélaniques ont été apportées, ce qui ne reflète probablement pas leur proportion réelle sur le terrain. En effet, les vipères mélaniques représentent localement une fraction importante de certaines populations valaisannes, notamment en Haut-Valais (M EYER et al. 2009). Dans la région de Loèche, c’est surtout après le vaste incendie de la forêt de Bannwald, le 13 août 2003, que l’augmentation du nombre de données s’est manifestée, particulièrement depuis 2007 et surtout dès 2010 (fig. 5 & 6). L’un des oiseaux fréquentant les lieux était le mâle du couple, présent dans la région à partir de 2008 au moins. Cette nidification semble ainsi le fruit d’un long processus d’appropriation du territoire, du moins de la part du mâle, âgé d’au moins 5 ans en 2012. Statut en France et en Italie Cet événement helvétique est vraisemblablement lié à la progression récente de l’espèce dans les régions limitrophes, en particulier en France, où les effectifs ont pratiquement doublé en une décennie (2400 à 2900 couples dans les années 2000). Le Circaète y niche au sud d’une ligne reliant la Vendée au Jura en Discussion Ces observations documentent la première preuve de reproduction du Circaète en Suisse, qui était attendue depuis l’augmentation régulière du nombre de données dès les années 1990 (K ÉRY & P OSSE 1998 ; M AUMARY et al. 2007). Fig. 5 – Evolution du nombre de données de Circaète Jean-le-Blanc Circaetus gallicus dans la région de Loèche VS, de 2000 à 2012. Archives de la Station ornithologique suisse (sans nos observations de 2012). Fig. 6 – Périodes de présences annuelles du Circaète Circaetus gallicus dans la région de Loèche VS depuis 2000. C’est surtout depuis 2007 que l’espèce est observée presque continuellement en été, puis depuis 2009 au printemps aussi. Archives de la Station ornithologique suisse. 13A gauche, le mâle apporte une Vipère aspic Vipera aspis tête repliée ; à droite, le jeune tente de faire façon d’une Grenouille rousse Rana temporaria. Haut-Valais, 31 juillet et 2 août 2012. passant par la Sologne, l’Orléanais, le sud de l’Yonne et la Côte-d’Or, mais la majorité des couples sont fixés dans le sud et le sud-est : régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Languedoc-Roussillon, sud de Rhône-Alpes et sud-est du Massif Central (D UBOIS et al. 2008). Dans plusieurs régions de France situées au nord de l’aire principale de distribution, la tendance est à l’augmentation du nombre d’observations, surtout entre mai et août, depuis les années 1990. C’est particulièrement le cas en FrancheComté et en Alsace, avec une année record en 2006 (P AUL & G RAUB 2007), de même qu’en Haute-Savoie, où le nombre de données a fortement crû ces dernières années (maximum de 7 individus, dont des immatures, le 21 août 2006 au col de la Colombière ; S. Graub et al. in P OSSE 2007). L’expansion récente des nicheurs est aussi manifeste dans des régions abandonnées il y a 20 à 40 ans : dès 2006, le Circaète s’est de nouveau reproduit en Haute-Savoie, au Vuache (S. Graub in P OSSE 2007) et dans le Doubs (P AUL & G RAUB 2007) ; cette reconquête a atteint le Jura en 2008, tandis que des installations nouvelles ont eu lieu en Ile-de-France en 2005 et 2008 (D UBOIS et al. 2012), ainsi 14 qu’en 2011 et 2012 dans la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie (J.-P. Matérac in P IOT & V ALLOTTON 2012 ; Br. Piot, comm. pers.). En Italie, le Circaète niche aussi près de nos frontières, en particulier dans la Vallée d’Aoste (M INGOZZI et al. 1988 ; B OCCA 1989) et dans les provinces limitrophes du Tessin – où l’installation d’un couple sur sol suisse est attendue (R. Lardelli fide B. Posse). Le nord de l’Italie paraît cependant moins propice au Circaète que le sud de la France, en raison de son climat très pluvieux au printemps lors des régimes de fœhn, malgré la présence de sa proie de prédilection, la Couleuvre verte-et-jaune. Climat et météorologie Bien que les températures moyennes aient été plus élevées que la moyenne sur l’ensemble des six mois nécessaires à la nidification, des épisodes de vent très fort ont fait douter de sa réussite. En effet, un fœhn très violent a soufflé à fin avril et début mai, secouant fortement l’arbre support du nid. Les possibilités de chasser des serpents étaient limitées à cette période par un temps couvert et froid. PendantM AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc la période de nourrissage, le cap le plus difficile fut la dernière semaine de juillet, où les adultes ont dû compenser l’indisponibilité des Vipères aspics par l’apport d’Orvets notamment. Dans la région de Loèche, véritable îlot de sécheresse en Suisse, il s’est pourtant presque toujours trouvé des fenêtres de temps sec permettant aux Circaètes de chasser, même lorsque le temps était uniformément pluvieux sur le reste du pays. Ces périodes de répit ont probablement joué un rôle déterminant dans la réussite de ce couple. Les vents forts de l’après-midi étaient peut-être à l’origine d’une baisse de cadence des nourrissages. Le réchauffement actuel du climat pourrait être un des facteurs ayant conduit à l’installation de ce couple de Circaète en Suisse, en favorisant les populations de vipères de l’étage subalpin par prolongation de leur période d’activité (J.-Cl. Monney, comm. pers.). De surcroît, dans le cas de la région de Loèche, les plus de 300 ha de forêt partis en fumée en août 2003 ont créé un vaste milieu ouvert et séchard favorable à la Vipère aspic, comme laissent le supposer les fréquentes observations du Circaète mâle, en chasse à l’affût sur des arbres secs du secteur. Dans un contexte de conditions climatiques de plus en plus favorables aux espèces méditerranéennes à nos frontières également, on peut imaginer que la croissance démographique du Circaète en France voisine pousse des oiseaux à tenter de nicher dans des habitats suboptimaux ou différents de ceux traditionnellement convoités. Depuis la fin des années 1970, les normes estivales sont comprises entre 25 et 28° C en Suisse romande. Or les journées dites « tropicales », soit égales ou supérieures à 30° C, sont désormais si fréquentes que les normes 19611990 sont devenues obsolètes. Cette évolution ne peut que favoriser les espèces d’origine méditerranéenne, qui tentent de s’installer en Suisse et en particulier en Valais, depuis la fin des années 1980 : Alouette calandrelle Calandrella brachydactyla en 1989, Fauvette à lunettes Sylvia conspicillata en 1989, 2005 et 2008, Fauvette passerinette Sylvia cantillans en 1996, 2004 et 2006, Guêpier d’Europe Merops apiaster dès 1992, Monticole bleu Monticola solitarius dès 2001 (M AUMARY et al. 2007 ; P OSSE 2009). Chronologie de la nidification La phase d’installation de ce couple de Circaète, avec construction du nid, a duré au moins 12 jours (du 1 er au 12 avril), l’incubation 47 jours (du 13 avril au 29 mai), le séjour du jeune au nid 79 jours (du 30 mai au 17 août) et la période de dépendance pré-migratoire 42 jours (du 18 août au 28 septembre). Dans le sud de la France, la plupart des nicheurs arrivent entre le 10 et le 20 mars (C HOUSSY 1973 ; J OUBERT 2001a). La date de ponte du 13 avril correspond au jour près à la moyenne dans l’Allier F03. Dans les Cévennes F, elle correspond au 14 avril (calculée sur 17 ans et 370 cycles de reproduction ; M ALAFOSSE & M ALAFOSSE 2011). La plupart des femelles couvent avant le 15 avril dans le sud de la France (J OUBERT 2001a). L’incubation dure généralement 45-47 jours (B OUDOINT 1951, 1953 ; B ROSSET 1953 ; G ÉROUDET 1979 ; C RAMP & S IMMONS 1980 ; DEL H OYO et al. 1994) et la période d’élevage au nid 65-80 jours (C RAMP & S IMMONS 1980 ; DEL H OYO ET AL . 1994 ; J OUBERT 2001 A ; G ENSBØL 2005). Dans le sud de la France, pour 11 jeunes sur 16, la date du départ en migration se situait entre le 18 septembre et le 6 octobre, soit 42-59 jours après l’envol (C ÉRET 2011). Le jeune Circaète valaisan a donc éclos dans les normes européennes, malgré la situation du nid en altitude (plus de 1000 m) et des conditions météorologiques plutôt défavorables de fin avril et début mai (fortes rafales de fœhn). Il est par contre resté longtemps au nid, peut-être en raison de l’absence des deux grands serpents-proies favoris du Circaète que sont les Couleuvres verte-et-jaune et de Montpellier. La durée de la phase d’émancipation est conforme à la norme française. Domaine vital et territoire de chasse Le domaine vital d’un couple varie entre 20 et 50 km 2 dans les zones favorables ouvertes du sud de la France, de 50-100 km 2 dans les zones fortement boisées (Vercors, Chartreuse, Jura). Le rayon de chasse est d’au moins 7,5 km. La surface nécessaire aux couples nicheurs s’étend entre 25 et 75 km 2 dans les Pyrénées, en moyenne 60 km 2 en Haute-Loire et 100 km 2 15Jeune Circaète Circaetus gallicus avalant une Vipère aspic Vipera aspis. Haut-Valais, 1 er août 2012. dans les Hautes-Alpes (J OUBERT 2001a ; B RUGOT 2011). Avec un domaine vital d’environ 80 km 2 et un rayon d’action de 7 km autour du site de nidification, le couple valaisan est dans la norme française. Le Circaète peut toutefois s’éloigner jusqu’à 15 km de son aire lorsqu’il chasse (G ÉROUDET 1979). Site de nid A peine arrivés, les Circaètes entreprennent la construction d’une nouvelle aire ou la restauration d’une ancienne. Les nids sont presque tous terminés trois semaines après le retour, la restauration d’une ancienne aire prenant moins de temps que la réalisation d’une nouvelle (J OUBERT 2001a, 2002). Il n’est pas exclu que l’aire valaisanne existait déjà, tant l’installation du couple a été rapide. Sa présence probable en mars déjà a malheureusement échappé à l’observation, tout comme la phase de construction. L’aire, d’un diamètre externe d’environ 1 m, est relativement petite pour un oiseau de la taille du Circaète, ce qui est caractéristique chez cette espèce. Sa position sommitale l’est aussi, permettant des allées et venues sans entrave pour un oiseau de grande envergure. Le Pin sylvestre, comme celui choisi par le couple valaisan, est l’arbre16 support favori en France (J OUBERT 2001a), mais sa hauteur de 25 m plus importante que la norme : dans le sud de l’Europe, l’aire est généralement construite entre 7 et 15 m (2-32 m) de hauteur sur un grand arbre au flanc d’un ravin ou dans une combe boisée (C HOUSSY 1973). Le Circaète niche généralement au-dessous de 850 m en France, mais les aires peuvent se situer jusqu’à plus de 1500 m dans les HautesAlpes et dans les Pyrénées (J OUBERT 2001a). Dans les Hautes-Alpes, l’altitude moyenne de l’aire se situe à 1068 m pour 27 couples suivis de 1999 à 2011 (B RUGOT 2011). Le Circaète est généralement fidèle à son site de nidification, mais change fréquemment d’aire (B OUDOINT 1953). Dans les Cévennes, seuls 53 % des nids dans lesquels un jeune a été élevé avec succès sont repris l’année suivante (M ALAFOSSE & M ALAFOSSE 2011). Plumages Plusieurs auteurs ne relèvent aucune différence significative de plumage entre le mâle et la femelle (G ÉROUDET 1979 ; F ORSMAN 1999). D’autres études, en partie plus récentes, montrent, au contraire, que les mâles sont généralement plus petits et plus clairs que les femelles, avec une poitrine striée longitudi-M AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc nalement (C HOUSSY 1970, 1973). Les femelles présentent une gorge sombre uniforme, bien délimitée de la poitrine et du ventre blancs barrés de brun. La règle du dimorphisme sexuel est vérifiée huit fois sur dix, tandis que les individus clairs sont toujours des mâles (J OUBERT 2001a). A cet égard, le couple valaisan était typique, le mâle étant particulièrement petit et pâle et la femelle grande et fortement marquée. Les motifs d’un individu demeurant relativement constants d’une année à l’autre, ceux-ci peuvent fournir de précieux renseignements sur l’identité des oiseaux au cours du temps (J OUBERT 2001a). investissement lors des nourrissages directs est considéré comme atypique (C RAMP & S IMMONS 1980 ; J OUBERT 2001a). L’attachement au jeune est généralement décrit comme très fort pendant l’élevage au nid mais plus après son envol (J OUBERT 2001a). Contrairement au mâle, la femelle ne s’est plus occupée de son jeune après son départ du nid. L’humidification (volontaire ?) des proies lors des fortes chaleurs (surtout par la femelle) n’avait apparemment jamais été décrite. Probablement les adultes avaient-ils bu avant ou après avoir capturé le serpent. Comportement des adultes Séjour au nid Installation et incubation Les observations sur les attitudes du jeune au nid sont conformes aux descriptions d’autres auteurs (B OUDOINT 1953 ; J OUBERT 2001a). Les phases d’activité ne concernaient guère que 10 % de son temps, les séances de musculation des ailes étant le plus souvent limitées à des exercices d’équilibre aux moments les plus venteux, où il lui suffisait d’ouvrir les ailes. L’étripage des serpents par le jeune, qui paraissait « goûter » ses proies par petits morceaux, n’est pas décrite dans la littérature. Laissé à lui-même la plupart du temps, il a dû faire face aux attaques répétées d’un Autour des palombes juvénile né à proximité. Le jeune Circaète paraissait particulièrement vulnérable dans sa position sommitale très exposée, sans possibilité de se cacher. La rapide phase d’installation du couple valaisan s’accorde parfaitement avec une présence antérieure des deux partenaires dans la région, comme le laissent supposer les comparaisons photographiques. Il n’est donc pas exclu qu’une tentative de nidification ait déjà eu lieu en 2011, voire en 2010, car tous les auteurs insistent sur la discrétion de l’espèce pendant la période de nidification et surtout de la difficulté de découvrir les aires (B OUDOINT 1953 ; J OUBERT & M ALAFOSSE 2009). La formation des couples est un processus complexe, l’alchimie entre deux partenaires ne fonctionnant pas toujours (J OUBERT 2001b). Même des couples formés peuvent occuper des territoires sans se reproduire. Le mâle valaisan surtout, très actif, ne paraissait guère hésitant dans tous ses comportements et semblait même « mener la barque ». La femelle était plus passive et demeurait parfois plusieurs minutes comme interdite de nid, par exemple après s’être vue refuser une vipère qu’elle tentait de prendre au mâle. L’implication du mâle influence fortement le succès de reproduction : un couple avec un mâle efficace a élevé 11 jeunes en 11 ans alors qu’un autre avec un mâle moins performant n’en a élevé que 2 en 9 ans (J OUBERT 2001a). Elevage du jeune La participation du mâle à l’incubation, aux nourrissages avant et après l’envol et à la recharge du nid était remarquable. Pareil Comportement du jeune Emancipation La période d’émancipation est généralement de 40 à 60 jours en France (B OUDOINT 1984 ; J OUBERT 2001a), ce qui situe nos observations dans la norme. Par contre, les adultes ne s’occupent en principe plus de leur jeune au-delà de trois semaines après sa sortie du nid (J OUBERT 2001a) et certaines sources décrivent même le jeune comme indépendant peu après son envol ( DEL H OYO et al. 1994). Or le mâle valaisan a nourri son jeune quotidiennement pendant six semaines, jusqu’au 28 septembre au moins, date de la dernière observation du jeune. Le mâle semblait encore chercher son rejeton le 1 er octobre (LM). Le comporte17Tabl. 2 – Proies du Circaète Jean-le-Blanc Circaetus gallicus répertoriées en France (par comparaison au présent travail). La Vipère aspic ne constitue pas plus de 35 % des serpents amenés à l’aire. Hautes-Alpes Cévennes Loire (2006-2010) (1991-2011) (B RUGOT 2011) (M ALAFOSSE & M ALFOSSE 2011) (B OUDOINT 1953) Couleuvre verte-et-jaune Hierophis viridiflavus Couleuvre de Montpellier Malpolon monspessulanus Couleuvre d’Esculape Elaphe longissima Couleuvre à collier Natrix natrix Couleuvre vipérine Natrix maura Coronelle lisse Coronella austriaca Couleuvre girondine Coronella girondica Couleuvre sp. Vipère aspic Vipera aspis Ophidiens indéterminés Lézard vert Lacerta viridis Orvet fragile Anguis fragilis Campagnol terrestre Arvicola terrestris Autres petits mammifères Lièvre brun Lepus europaeus Lapin de garenne Oryctolagus cuniculus Rongeurs Grenouille rousse Rana temporaria Crapaud commun Bufo bufo Oiseaux Total ment de l’adulte laisse penser qu’il est parti en migration ce jour-là, non sans s’être assuré que son petit était parti. En effet, les adultes et les jeunes ne migrent normalement pas ensemble et les jeunes peuvent partir avant, avec ou après les adultes (J OUBERT 2001a ; C ÉRET 2010). Régime alimentaire En France, en Espagne et en Italie, l’alimentation repose à 87-100 % sur les reptiles, plus particulièrement sur les serpents (70-96 % des proies ; J OUBERT 2001a). Les 97 % des proies amenées au jeune Circaète valaisan, dans la deuxième moitié de son séjour au nid, étaient des reptiles, dont 83 % des Vipères aspics. Une telle importance de la Vipère aspic est inédite chez le Circaète (tabl. 2). En France et en Espagne, les grandes couleuvres (verte-etjaune, de Montpellier, à collier, d’Esculape) sont les proies favorites. Les serpents venimeux sont relativement peu capturés. Leurs pourcentages par rapport aux nombres de serpents capturés varient entre 35 % dans les Pyrénées F (H ARLE & C ALVET 2007) et 26 % dans le Puyde-Dôme F à 0,8 % dans la Sierra Morena E, avec 11,5 % en Lozère F48, 3 % en Loire F42 et Haute-Loire F43, ainsi que 2,8 % dans le Latium I (Joubert 2001a). Les vipères constitue18 8 2 1 3 (15 %) 1 2 1 2 20 73 27 47 12 3 2 1 67 34 (10 %) 15 19 16 3 12 1 1 13 3 3 2 354 12 9 2 10 1 (3 %) 1 1 36 raient environ 18 % des prises de serpent en France (nombre total de serpents : 118), 5,3 % en ex-Yougoslavie (N tot = 57) et 1,3 % en Italie (N tot = 75) (B RUNO & P ERCO 1980 ; J OUBERT 2001a). Une étude menée dans les Hautes-Alpes F05 mentionne toutefois la Vipère aspic comme une proie régulière (3 proies sur 24 déterminées), aux côtés de la Couleuvre verte-et-jaune (8) (B RUGOT 2011 ; tabl. 2). Dans le Loir-et-Cher également, le Circaète ne s’intéresse qu’à la Couleuvre à collier et à la Vipère aspic (P ERTHUIS 2008). Sur 43 proies identifiées dans la région de Bialowiesa, en Pologne, la Vipère péliade Vipera berus formait 50 % des proies et l’Orvet 22 %, le reste étant des grenouilles, lézards et micromammifères (G LUTZ VON B LOTZHEIM et al. 1971). Dans la région de Minsk, en Biélorussie, la Couleuvre à collier est la proie presque exclusive du Circaète (G LUTZ VON B LOTZHEIM et al. 1971), qui est donc capable d’adapter son comportement en fonction des espèces de serpents les plus abondantes ou faciles d’accès. Dans les régions où la Vipère aspic est présente, le biais en sa défaveur au menu du Circaète est sans doute plus dû à sa taille relativement petite qu’à ses morsures potentiellement dangereuses. Il est probable qu’il s’agisse plutôt d’une sélection envers des proies plus grosses, donc plus rentables, puisque lesM AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc Ouest de la France Pyrénées (1300 m) (B UREAU & M AYAUD 1953) (H ARLE & C ALVET 2007) 1 14 Cantal (Auvergne) (5 ans) (C HOUSSY 1973) Haut-Valais (2012) présent travail 14 3 5 1 4 4 (19 %) 1 9 (35 %) 6 2 5 4 7 (21 %) 93 (83 %) 3 7 6 1 1 2 21 26 grandes couleuvres atteignent 150 cm, soit le double d’une Vipère aspic, qui dépasse rarement 70 cm. D’autre part, les proies de petite taille sont avalées sur place par les adultes et seules les plus grosses sont amenées au jeune. Cela explique probablement l’absence de lézards dans le cas valaisan. Les Orvets, qui ne dépassent guère 40-50 cm, n’ont été amenés que lorsque les conditions météorologiques pluvieuses ne permettaient guère la capture de vipères. Il semble que le Circaète ne soit pas immunisé contre leur venin mais les écailles renforcées de ses tarses lui offriraient une certaine protection (C RAMP & S IMMONS 1980). La focalisation de ce couple de Circaètes sur la Vipère aspic est cependant remarquable par son importance. La préférence pour la chasse à l’affût depuis le sommet d’un arbre est probablement une adaptation comportementale pour capturer des serpents relativement petits, en l’occurrence les plus abondants. Même si ce mode de chasse ne constitue pas une stratégie de chasse régulière chez le Circaète en Europe (J OUBERT 2001a), il pourrait avoir constitué la clé de la réussite valaisanne, permettant à ce couple de surmonter la carence en grandes couleuvres. En effet, l’Aspic est le seul ophidien suffisamment abondant pour nourrir une famille de Circaètes en Suisse, avec des densités 34 112 pouvant atteindre 15 ind./ha dans les secteurs favorables, notamment en Valais (H OFER et al. 2001 ; M EYER et al. 2009). Cette abondance relative permet de compenser l’apport énergétique relativement modeste en comparaison avec les grandes couleuvres, proies favorites du Circaète dans le sud de la France et en Espagne notamment. La fréquence des nourrissages était au moins deux fois plus élevée que chez les couples suivis dans le sud de la France : le couple valaisan a nourri en moyenne 5,4 (1-8) fois par jour, alors que la ration quotidienne reçue par les jeunes nés en France est de 2-3 (1-5) serpents en moyenne, ce qui équivaut à 120-125 g. La ration quotidienne minimale est estimée à un à deux serpents de taille moyenne (C RAMP & S IMMONS 1980). Avec au moins 1162 reptiles, dont 900 Aspics, le couple valaisan se trouve dans la moyenne calculée par certains auteurs de 1050-1250 serpents nécessaires par couple ayant réussi à élever un jeune (Z EBE 1936 ; M. Cuisin in B RUNO & P ERCO 1980), mais d’autres estimations varient de 550 à 1500 pour la France et l’Italie (D. Choussy in B RUNO & P ERCO 1980 ; O. Uttendörfer in B RUNO & P ERCO 1980 ; P ETRETTI 1988, 2008). Ce nombre dépend logiquement de la taille des serpents capturés et peut donc varier du simple au double. 19A gauche, femelle apportant une Couleuvre d’Esculape Elaphe longissima ; à droite, mâle arrivant à l’aire une Vipère aspic Vipera aspis mâle au bec, vraisemblablement capturée lors d’un accouplement – hémipénis (appendice rouge) visible. Haut-Valais, 2 et 7 août 2012. Menaces et protection Pendant la seconde moitié de la période d’élevage au nid, le jeune Circaète est laissé à lui-même. Il est alors à la merci de prédateurs tels que l’Aigle royal, le Grand-duc d’Europe Bubo bubo, voire de l’Autour des palombes ou du Grand Corbeau Corvus corax. Le Circaète est réputé pacifique et se fait fréquemment agresser par d’autres rapaces, comme la Buse variable. La proximité de couples nicheurs d’Aigles royaux est donc un facteur potentiellement limitant pour le Circaète. En effet, les jeunes, et même des adultes, peuvent être la proie de l’Aigle royal, comme cela a été observé dans le sud de la France. Dans les Cévennes, la prédation totalise environ 20 % des causes d’échecs identifiées (M ALAFOSSE & M ALAFOSSE 2011). Les secteurs à Aigles royaux peuvent même être complètement désertés par les Circaètes (J OUBERT 2001a). L’omniprésence de l’Aigle royal dans les Alpes suisses pourrait donc constituer un frein à la colonisation par le Circaète. Le Grand-duc est également capable de tuer un Circaète adulte (J OUBERT 2001a). Pendant la phase d’incubation, l’œuf pouvait aussi rester sans aucune protection pendant plusieurs minutes lors des échanges de partenaires. Les adultes prenaient au moins 20 6 min pour rejoindre le nid depuis leurs principaux lieux de chasse. Mais la plus grande menace qui pèse sur ce couple de Circaètes, nichant à l’écart des dérangements du public, est l’exploitation sylvicole. La mise à ban du site de nidification sur un rayon de 500 m autour du nid serait la mesure la plus sûre à prendre, afin d’éviter des coupes de bois intempestives pouvant provoquer un abandon. En France, le taux de réussite de la reproduction se situe entre 0,5 et 0,77 jeune par œuf pondu (J OUBERT 2001a). Conclusion et perspectives Ces observations ont été acceptées par la Commission de l’avifaune suisse, ce qui fait du Circaète Jean-le-Blanc la 218 e espèce sauvage ayant niché au moins une fois en Suisse (M AUMARY et al. 2007). La fidélité de l’espèce à son site de nidification et à son partenaire, avec une longévité d’une vingtaine d’années, permettent d’espérer que ce couple reviendra se reproduire à l’avenir, pour autant que ce site ne subisse aucune perturbation. Il est aussi probable que ce couple, original à plus d’un titre, fera école et qu’il sera imité par d’autres,M AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc les secteurs propices à la nidification étant vraisemblablement nombreux en Valais. Cet heureux événement s’inscrit dans une nouvelle dynamique positive de l’espèce en Europe, notamment en France, où elle jouit aujourd’hui d’une meilleure protection qu’au temps où elle était souvent la cible de braconniers. Une faible pluviométrie et surtout un ensoleillement important ont sans doute joué en faveur de ce couple de Circaète, en facilitant la chasse aux reptiles. Le développement relativement lent du jeune Circaète valaisan est peut-être indicatif d’un habitat suboptimal pour l’espèce ou résulte du nourrissage par des proies globalement plus petites et donc moins rentables du point de vue énergétique. Avec le réchauffement climatique actuellement en cours, on peut toutefois imaginer que les conditions deviendront de plus en plus favorables, notamment en prolongeant l’activité des serpents comme la Vipère aspic. Il semble toutefois que l’espèce demeurera confinée aux régions les plus chaudes et sèches de Suisse comme le Valais central, le sud du Tessin et peut-être aussi l’Engadine ou des régions avec densités et disponibilités suffisantes en reptiles. Remerciements – Nous devons cette découverte à Thomas Nierle, qui a signalé son observation du 1 er avril. Nos remerciements vont également à Philippe Bottin, Olivier Epars, Jean-Claude Monney, Pascal Rapin, Frédéric Schlatter et Madeleine Schuler pour la transmission d’informations ou pour leur aide et leur soutien logistique. Alain Barbalat, Pierre Beaud, Olivier Biber, Christoph Haag, Bram Piot, Bertrand Posse et Pierre-Alain Ravussin ont relu le manuscrit et formulé des remarques constructives pour la mise en forme finale de cet article ; Marco Hammel et Thomas Nierle nous ont mis à disposition leurs photographies. Résumé – Première nidification du Circaète Jean-le-Blanc Circaetus gallicus en Suisse. Observations sur la biologie de reproduction, en particulier le régime alimentaire. Du 1 er avril au 1 er octobre 2012, un couple de Circaètes Jean-le-Blanc a élevé avec succès un jeune en Haut-Valais (Alpes suisses). Il s’agit de la première preuve de reproduction de l’espèce dans notre pays, attendue depuis l’augmentation régulière du nombre d’observations en Suisse dès les années 1990. Après une installation rapide, l’incubation a duré 47 jours dès le 13 avril (éclosion le 29 mai), le séjour du jeune au nid 79 jours (envol le 17 août) et la période d’émancipation au moins 42 jours. Cette réussite est à mettre sur le compte de l’importance prise par la Vipère aspic Vipera aspis, qui constituait 83 % des proies. L’Aspic est en effet l’ophidien le plus fréquent en Suisse, avec la plus grande amplitude altitudinale ; elle est même localement abondante en Valais. Une telle prédilection paraît toutefois rare chez le Circaète, qui est réputé préférer les grandes couleuvres pouvant atteindre 150 cm mais, à l’exception des Couleuvres d’Esculape Elaphe longissima et à collier Natrix natrix, absentes du Valais. La Vipère aspic ne dépassant guère 70 cm, ce couple a dû compenser en nourrissant deux fois plus souvent qu’un couple du sud de la France. Jusqu’à huit nourrissages par jour ont été observés dans la dernière phase de l’élevage du jeune au nid (pas plus de 5 en France), jusque tard dans la soirée. Les reptiles (Orvet Anguis fragilis, Couleuvre à collier, Couleuvre d’Esculape, Coronelle lisse Coronella austriaca et Vipère aspic) représentaient 97 % des proies sur un total de 112, les 3 % restants étant constitués d’une Grenouille rousse Rana temporaria, un poussin de Lagopède alpin Lagopus muta et un autre de Gélinotte des bois Bonasa bonasia, ces deux dernières espèces étant nouvelles au régime alimentaire du Circaète. La qualité apparemment exceptionnelle du mâle a aussi été déterminante (grande participation à l’incubation et au nourrissage de la femelle au nid, auteur de près de deux tiers des nourrissages au nid et prise en charge du jeune pendant au moins six semaines après son envol). Ce mâle avait déjà été observé dans la région chaque été depuis 2008 au moins, peut-être déjà en 2007, chassant notamment dans la forêt brûlée de Bannwald sur Loèche (incendie de 2003). Son plumage très pâle le faisait souvent confondre avec un immature, bien qu’il était âgé d’au moins 5 ans en 2012. La femelle avait quant à elle aussi été photographiée en 2010 déjà. Le Circaète Jean-le-Blanc est la 218 e espèce sauvage ayant niché en Suisse depuis 1800. 21Jeune Circaète Circaetus gallicus né en Valais. 25 septembre 2012. Zusammenfassung – Erste Brut des Schlangenadlers Circaetus gallicus in der Schweiz. Beobachtungen zur Brutbiologie, insbesondere zum Fütterungsverhalten. Vom 1. April bis zum 1. Oktober hat ein Schlangenadlerpaar erfolgreich ein Jungtier im Oberwallis (Schweizer Alpen) aufgezogen. Es handelt sich hierbei um den ersten Nachweis einer erfolgreichen Brut in der Schweiz – ein Ereignis welches seit dem vermehrten Auftreten in den 90 er Jahren schon seit geraumer Zeit erwartet wurde. Nach einer raschen Installation hat die Inkubationsdauer rund 47 Tage gedauert (13. April-29. Mai), das Jungtier ist rund 79 Tage im Nest verweilt (Nest am 17. August verlassen) und die Zeit mit elterlicher Brutfürsorge hat noch weitere 42 Tage gedauert. Die Aspisviper Vipera aspis stellte mit rund 83% die Hauptbeute dar und trägt hiermit einen wesentlichen Teil zur erfolgreichen Brut bei. Die Aspisviper ist die häufigste Schlange in der Schweiz, kommt in unterschiedlichsten Höhenlagen vor und ist im Wallis stellenweise noch häufig. Eine solche Präferenz scheint bemerkenswert, da der Schlangenadler für seine Vorliebe für grosse Nattern (bis 150 cm) bekannt ist. Die Aspisviper erreicht kaum 70 cm was dazu geführt hat, dass die Eltern22 tiere das Jungtier doppelt so häufig füttern mussten als Vergleichsstudien in Südfrankreich belegen. Bis zu acht Fütterungen (5 in Südfrankreich) wurden am Ende der Nestlingszeit pro Tag, bis in die späten Abendstunden, registriert. Reptilien (Blindschleiche Anguis fragilis, Ringelnatter Natrix natrix, Äskulapnatter, Schlingnatter Coronella austriaca und Aspisviper) machten rund 97% (109 / 112 Fütterungen) aus, weiter wurden einmal ein Grasfrosch Rana temporaria, ein Jungtier des Alpenschneehuhns Lagopus muta und des Haselhuhns Bonasa bonasia verfüttert. Die beiden letzten Futtertiere wurden zum ersten Mal im Speisezettel des Schlangenadlers festgestellt. Die Mithilfe des Männchens bei der Brutfürsorge scheint aussergewöhnlich (grosser Anteil beim Inkubieren und bei der Weibchenfütterung am Nest, rund zwei Drittel der Fütterungen des Jungtieres während der Nestlingszeit und alleinige Fürsorge während rund sechs Wochen nach dem Ausfliegen des Jungtieres). Dieses Männchen wurde seit 2007 oder 2008 regelmässig im Gebiet, v.a. in der Region des abgebrannten Bannwaldes Leuk (Brand 2003) bei der Jagd gesehen. Wegen seinem sehr hellen Gefieder wurde er häufig als immatures Tier bestimmt, obwohl er im JahreM AUMARY , L. et al. : Première nidification suisse du Circaète Jean-le-Blanc 2012 schon mindestens 5 Jahre alt war. Selbst das Weibchen wurde mit Sicherheit schon im Jahre 2010 fotografiert. Der Schlangenadler ist die 218 te Vogelart welche seit 1800 erfolgreich in der Schweiz gebrütet hat. (Übersetzung : A. Jacot) Summary –First nesting of a pair of Short-toed Eagles Circaetus gallicus in Switzerland. Observations of reproductive biology in particular their diet. Between 1 st April and 1 st October 2012 a pair of Short-toed Eagles successfully fledged a chick in the Haut-Valais (Swiss Alps). This event had been long awaited and was the first proven reproduction in the country following increases in the number of sightings in the 1990’s. Following a rapid period of nest building incubation lasted 47 days from 13 April and the chick hatched on 29 May. The chick remained 79 days in the nest and fledged on 17 August. From the moment of fledging at least 42 days remained before total emancipation. The breeding success was certainly dependent on the availability of the Asp Viper Vipera aspis and made up 83% of prey items. The Asp Viper is the most common ophidian in Switzerland and covers a wide range of altitudes ; this species is locally abundant in the Valais. This choice is rare amongst Short-toed Eagles which normally tend to prefer the large grass snakes of which only the Aesculapian Snake Elaphe longissima is present in the Valais. The Asp Viper rarely exceeds much over 70 cm in length which resulted in this pair having to compensate by twice as many feedings compared with pairs in the South of France. As many as 8 daily feedings were observed towards the end of the period that the chick was in the nest, often until late in the evening, compared with 5 in the South of France. Reptiles, (Slowworm Anguis fragilis, Grass Snake Natrix natrix, Aesculapian Snake, Smooth Snake Coronella austriaca, and Asp Viper) made up 97 % of 112 prey items, the remaining 3 % being made up of a Common Frog Rana temporaria, a Rock Ptarmigan chick Lagopus muta, and a Hazel Grouse chick Bonasa bonasia, it is the first time that these last two species have been reported as prey items of the Short-toed Eagle. The outstanding quality of the male played an essential part in the reproductive success (high participation in the incubation, feeding the female on the nest while two thirds of all the feedings of the chick at the nest were carried out by the male who also continued to feed it for another 42 days after fledging). This male had also been reported in the area every summer since at least 2008 and possibly already in 2007 where it had been seen hunting in the burnt Bannwald forest above Loèche that had burnt in 2003. The male’s very pale plumage tended to give the impression of an immature in spite of being at least 5 years old in 2012. The female had already been photographed in 2010. The Shorttoed Eagle is the 218 th wild species to have bred in Switzerland since 1800. (Translation : M. Bowman) Bibliographie B OCCA , M. (1989) : Status del Biancone (Circaetus gallicus), dell’Aquila reale (Aquila chrysaetos) e del Pellegrino (Falco peregrinus) in Valle d’Aosta. Boll. Mus. reg. 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