Malheur des uns, bonheur des autres

Bernard JOUBERT
Un des chapiteaux de l’abbaye de Gellone (St-Guilhem-le-Désert ; Hérault) représente deux têtes d’aigle tenant au bec un serpent. Les faces arrondies évoquent étonnamment celle d’un circaète. On se plait à penser que ce rapace a pu inspirer l’artiste.
Ailleurs, en Haute-Loire – abbaye de La Chaise-Dieu, la Casa Dei (Maison de Dieu) -, une scène analogue est sculptée dans le bois d’une des stalles qu’utilisaient les moines. Ici, l’aigle tient le serpent dans les serres.
La représentation des deux animaux est évidemment d’ordre symbolique. Dans la mystique chrétienne, le Serpent figure le mal. Il corrompt l’Homme. La Bible en fait un symbole tentateur, père du péché, du mensonge et de la mort. Paradoxalement, il évoque aussi parfois la Résurrection : ses changements de peau permettaient d’expliquer aux païens l’idée de résurrection.
A l’opposé, l’Aigle est lié à une idée positive. Emblème de la force, il est le représentant d’une âme élevée au-dessus des choses terrestres. Au Moyen-Age, ce rapace était associé au Christ lui-même.
Les figurations de St-Guilhem et de La Chaise-Dieu sont celles de la lutte du bien contre le mal (évidemment, à la fin, c’est le bien qui l’emporte…). Ce combat se retrouve sur le drapeau mexicain mais, dans ce cas, l’Aigle et le Serpent représenteraient l’union du ciel et de la terre.
L’aversion naturelle de l’Homme pour le serpent a non seulement inspiré les artistes du passé, elle a également permis d’initier la protection des rapaces en France. En effet, si tous les rapaces sont protégés dans notre pays depuis 1972, les premières espèces à bénéficier d’une protection légale furent le Gypaète et … le Circaète, en 1962. Les travaux d’Yves Boudoint au début des années 50 ainsi que la crainte irraisonnée que nous avons des serpents ont probablement joué un rôle non négligeable dans la décision d’accorder une protection au Circaète. Comme quoi, le malheur des uns (le Serpent) fait le bonheur des autres (le Circaète).