Etude de la biologie du Circaète Jean-le-Blanc

par Yves BOUDOINT
La biologie du Circaète Jean-le-Blanc Circaetus gallicus nous a été dévoilée en grande partie par les travaux de ZEBE, qui étudia l’espèce en Silésie pendant plusieurs années et publia le résultat de ses observations dans les Annales de la Société Ornithologique de Silésie.
Toutefois, la rareté de l’espèce dans cette région et l’absence de relief très accusé ne lui ont pas permis de faire des observations aussi complètes que celles que nous avons pu faire. En particulier, le comportement des individus entre eux et celui du couple loin du nid n’a pu être précisé. Par contre, ZEBE avait réalisé de très belles photographies, documents dont, à l’heure actuelle, toute étude un peu importante mérite d’être accompagnée.
Nous avons eu la chance de rencontrer dans le Massif Central des conditions d’observation du Circaète vraiment idéales et c’est uniquement à ces circonstances que nous devons les résultats quc nous avons obtenus.

Matériel d’observation

Disons un mot des conditions dans lesquelles nous avons observé le Circaète. Si l’ouïe joue un grand rôle dans l’observation de la plupart des oiseaux, c’est la vue surtout qui travaille dans l’observation des Rapaces, et il faut s’aider de jumelles. Pour les observations de Rapaces en vol, j’utilise la jumelle de grossissement 8; toutes les tentatives d’utiliser des jumelles de grossissement moindre, mais plus légeres, ou surtout de grossissement plus important, ont confirmé que ce grossissement est idéal. Pour les observations d’oiseaux immobiles, ces jumelles sont insuffisantes; il faut utiliser une longue vue sur pied ou posée sur un rocher ou une masse quelconque. Nous avons utilisé une longue vue de grossissement 25, mais je pense qu’un grossissement supérieur serait avantageux s’il ne nécessitait pas le transport d’un matériel trop encombrant. Il est très probable qu’une personne cachée est susceptible de faire de plus belles observations qu’une personne à l’air libre, surtout au voisinage d’un nid : nous avons observé des cas où un couple de Circaète a été visiblement très troublé par notre présence à plus de 250 m du nid; il est possible que jusqu’à 500 m une certaine gêne de l’oiseau ait lieu qui modifie son comportement: il conviendrait donc d’observer en se cachant, si cela n’était pas terriblement incommode, surtout pour surveiller facilement plusieurs directions.

Biotope

La région observée se trouve à l’intérieur d’un secteur de cercle de 70 km de rayon dont le centre est la ville de Saint-Etienne, orienté Sud-Ouest / Sud-Est.
Le relief est assez mouvementé et s’échelonne entre 200 et 1200 m (point culminant de “Crêt de la Perdrix” 1434 m). Il nous faut distinguer deux biotopes différents :
1) Le Massif du Pilat aux formes convexes, couvertes de forêts de sapins, et d’altitude comprise entre 700 et 1300 m.
2) Les Gorges de la Loire aux formes concaves, formées de vallées très sauvages dont le versant Sud est clairsemé de pins, tandis que le versant Nord est revêtu d’une végétation plus dense de pins et de feuillus; l’altitude est comprise entre 200 et 600 m; sur le plateau, le terrain est cultivé. Ces deux biotopes ont deux climats différents : il pleut davantage sur le Massif du Pilat, qui est irrigué par de nombreux ruisseaux jamais taris, tandis que les petites vallées des gorges de la Loire sont complètement sèches en été. Les températures comme les altitudes sont évidemment très différentes: le brouillard est très fréquent, en mars et avril au Pilat. Les vents, au Pilat, sont soit du secteur Sud/ Sud-Ouest, soit du secteur Nord-Ouest, avec nette prédominance pour le secteur Sud-Ouest. Dans les gorges de la Loire les vents sont analogues mais l’effet du sol est plus important.

Identification du Circaète Jean-le-Blanc

Le Circaète Jean-le-Blanc possède, comme chacun sait, une envergure d’environ 1,90 m. Sommairement, les parties inférieures de l’oiseau sont entièrement blanches, sauf le jabot brun, quelques points sombres en collier sous l’aile, et trois barres sombres sous la queue (se reporter pour plus de détails à Alauda 1951, p. 1.-18) – Les parties supérieures du Circaète sont d’un brun plus ou moins clair, sauf les rémiges qui sont brun sombre. L’identification en vol est assez malaisée; lorsque l’oiseau est vu de très près (moins de 100 m) on remarquera le dessous des ailes blanc parsemé de petites taches sombres et les trois bandes sombres sous la queue, qui est coupée droite ou même légèrement fourchue si elle est très fermée.
Vu de dessus, ce sera surtout sa taille qui frappera car un oiseau vu de dessus paraît, toujours plus gros. Vu de côté, on pourra être mis en éveil par la grosseur de la tête, mais la blancheur du corps permettra immédiatement de conclure. Vu de derrière, le corps paraîtra énorme et disproportionné aux ailes. Entre 240 et 800 m, avec des jumelles, ou entre 100 et 300 m à l’oeil nu, on observera la blancheur des ailes et surtout celle du corps qui, s’il est éclairé par le soleil, sera très remarquable (confusion possible par certains éclairages avec les Buses cIaires). On remarquera la queue coupée droite ou même fourchue (aucune confusion), les ailes souvent en M, surtout si l’oiseau vole en ligne droite (confusion possible avec le Milan noir), les rémiges très relevées (confusion possible avec Milan royal), l’allure massive due aux ailes larges (pas de confusion), le vol lent (confusion avec les Milans); pas de dièdre aux ailes (confusion avec Milan noir et surtout Bondrée). La Bondrée entre 400 m et 1 km vers l’horizon peut être prise pour un Circaète, c’est la rapidité des virages et les petits mouvements d’ailes caractéristiques de cette espèce qui amèneront le doute. Par mauvais temps, le Milan noir, entre 400 m et 1 km haut dans le ciel, peut être pris pour un Circaète (observer la queue à la jumelle). Dans toutes les circonstances, une Buse, surtout claire, peut être prise pour un Circaète. On discriminera à la vitesse des évolutions et au faible diamètre des spirales ainsi qu’à la manie de la Buse de légèrement fermer ou abaisser nerveusement et brusquement ses ailes, et à ses piqués fréquents courts ou longs, mais rapides et se terminant par une ressource; le Circaète, lui, ne pique pratiquement jamais, tout au plus descend-il rapidement et son corps n’est pas très incliné sur l’horizontale. Bien que la Buse pratique parfois le vol sur place, une observation prolongée de ce vol permet de conclure au Circaète; en outre son attitude au cours de ce vol est très différente. Comme nous l’avons déjà dit, le Circaète pratique peu le vol en spirale, en tous cas pas en spirales serrées.
Remarquons que prendre un autre oiseau pour un Circaète est une erreur bien plus fréquente que de prendre un Circaète pour un autre Rapace et chaque fois que l’on voit un Jean-le-Blanc on se demande comment on a pu faire pour le confondre avec des Buses, ce qui nous avait amené à conclure : « Tout Circaète douteux n’en est pas un ».

Recherche du cantonnement d’un couple de Jean-le-Blanc

Pour rechercher l’aire, nous nous installons sur un sommet, dégagé ou à la rigueur au sommet d’un gand arbre, comme au Pilat ou il n’y a pas de sommet dégagé, et nous observons, et notons, les allées et venues de l’oiseau étudié. Je considère que pour arriver à des conclusions, il faut avoir observé au moins six heures consécutives un secteur situé à moins de 1000 m de l’observateur et de moins de 180° de champ de vue; sur un secteur restreint observé à 500 m on peut se permettre de conclure au bout de 4 heures au moins, mais il faut être sûr qu’aucun mouvement d’oiseau n’ait pu vous échapper. J’estime qu’à 500 m 10% des déplacements de courte durée des oiseaux vous échappent. On peut observer utilement, jusqu’à 2000 m, à condition de repérer l’oiseau sur le ciel, et de le suivre ensuite sur le sol avec attention. Toutefois, à cette distance, on a beaucoup de chances de perdre l’oiseau lorsqu’il ne sera plus sur fond de ciel. Ainsi, la meilleure distance d’observation d’un secteur est de 500 à 1000 m. L’attention doit être très soutenue et c’est un très important facteur de l’observation. Dès que l’oiseau n’est plus sur fond de ciel, il faut être assis et appuyer ses coudes sur ses genoux pour mieux tenir les jumelles. Les secteurs de 360° sont délicats à surveiller; il vaut mieux ne surveiller qu’un secteur de 180° durant 4 ou 6 heures suivant la distance, puis l’autre secteur opposé de 180°, durant d’autres heures d’observation. Si au cours de ces six heures on n’a pas vu de Circaète, on peut alors conclure à son absence.

Retour de migration

Le couple de Circaète que j’ai observé avec le plus d’attention et de précision est celui dont le cantonnement est voisin de la ville d’Aurec (Haute-Loire); nous l’appellerons couple d’Aurec. La date de son retour a été établie avec une certaine précision : le 13 mars 1949, à Aurec, nous avons observé de 10 h 50 à 17 h 30 sans voir un seul Circaète. Le 14 mars à 10 h 30, nous observions un Circaète dans une vallée qu’il ne fréquentait pas habituellement et dans laquelle il évolua, se posant de place en place jusqu’à 11 h 05. Après avoir disparu, à midi, nous le vimes se diriger en compamie d’un autre vers l’endroit où, par suite, il installa son aire. Par contre à Bas-en-Basset, le 14 mars 1948, un couple construisait déjà son nid. Au même endroit, le 9 mars, nous n’avions observé aucun oiseau. Certaines observations seraient susceptibles de faire croire que le couple s’installe dans un cantonnement, qu’il a déjà repéré l’année précédente. En réalité, le couple d’Aurec formé, comme j’ai pu m’en assurer, par le même mâle et la même femelle depuis 1945 jusqu’à 1950, est un vieux couple qui connaît parfaitement les deux vallées dans lesquelles il s’est cantonné et non moins parfaitement les cinq ou six endroits où il est susceptible d’installer son aire. Son choix peut donc être très rapide, bien qu’il ne niche jamais deux ans consécutivement au même endroit.

Situation des aires

Distingons du territoire ou cantonnement d’un couple constitué par les quelques km carrés dans Iesquels il s’est établi et où il ne supporte pas la présence d’un autre couple, « le secteur du nid » c’est-à-dire les quelques hectares qui l’entourent. Dans le Massif du Pilat, l’espace étant plus vaste et plus continu, le couple ne revient pas tout à fait au même cantonnement. J’ai pu suivre la trace d’un couple pendant deux ans, un autre pendant trois ans; mais j’ai perdu la trace de deux autres couples. D’une année à l’autre les aires peuvent se déplacer de 2000 à 3000 m. Dans la vallée de la Loire, au contraire, un couple conserve chaque année le même cantonnement, qui est bien défini et séparé par des dizaines de kilomètres du cantonnement voisin; par contre le secteur du nid est variable d’une année à l’autre. Dans les petites vallées encaissées des gorges de la Loire, le secteur du nid est presque toujours un ravin, plus ou moins incliné et marqué dans le flanc de la vallée. Le “thalweg” de ce ravin est marqué par un ruisseau, le plus souvent à sec, où s’accumule une végétation beaucoup plus importante, épineuse et très difficile à traverser. Quelques pins de forte taille poussent à droite et à gauche du ravin. Sur 15 emplacements de nids observés dans les gorges de la Loire, 14 étaient sur la pente la plus exposée au Sud, un seul était sur la pente Nord, mais si profond au fond de la vallée qu’on peut plutôt le considérer comme étant non plus sur un ravin latéral de la vallée, mais sur le ravin terminal formé par la vallée elle-même.
Dans le massif du Pilat, les secteurs de nids sont moins typiques. En tous cas, tous les nids que j’ai observés (23) se trouvaient dans un endroit où les lignes de niveau étaient concaves et la ligne de pIus gande pente droite ou concave, mais jamais convexe; c’est la caractéristique essentielle de l’emplacement des nids de Circaète. J’ai observé dans le massif du Pilat des endroits extrêmement sauvages, peuplés de vieux arbres multicentenaires, presque inaccessibles, mais d’un relief convexe. Aucun ne fut jamais occupé par une aire de Circaète, bien que ceux-ci s’établissent non loin sur des arbres beaucoup plus petits, dans un lieu bien moins sauvage et apparemment bien moins favorable. Pour convenir aux Circaètes, un cantonnement doit présenter une zone sauvage assez étendue; tous les cantonnements observés étaient dans une zone de plus d’un km2. Pour bien donner une idée du biotope, nous allons décrire successivement les dix cantonnements que nous avons observés.
1. Aurec : deux vallées de 3 km de longueur, perpendiculaires à la Loire, avec chacune un ruisseau et un sentier qui ne pénètre qu’aux 2/3 de la vallée. Aucun sentier sur les pentes exposées au Sud, qui sont pratiquement, inaccessibles aux promeneurs; la croupe séparant les vallées est cultivée; la pente face su Sud est couverte de broussailles clairsemées de pins; l’autre pente est une forêt épaisse de feuillus et de pins.
2. Bas-en-Basset : Vallée en Y, dont une branche est parcourue par une route à très faible circulation (2 ou 3 véhicules par jour). Pas de sentier sur la pente exposée au Sud; fond de la vallée très encaissé, inaccessible aux promeneurs; la zone sauvage s’étend de 2 km de part et d’autre du centre de l’Y. Végétation comme à Aurec.
3. Vallée de Charles : Vallée en Y de 3 km 500 de développement. Pentes moins ardues que les precédentes. Forêts davantage exploitées. Aucun sentier, pas même au fond de la vallée, qui est presgue inaccessible aux promeneurs.
4. Solignac : Vallée de plusieurs kilomètres avec 2 km très sauvages. Pentes très ardues. Aucun sentier. Fond de la vallée inaccessible à quiconque ou presque.
5. Le Pilat : Grands bois. Légère inflexion dans la vaste étendue forestière. Sol caillouteux rendant l’exploitation forestière impossible. Grands sapins centenaires, sentiers assez nombreux mais enfouis sous les arbres. Du sol on ne peut voir aucun oiseau.
6. Pilat. Le Bessat : Large et peu profonde inflexion dans un massif boisé très étendu à l’Ouest, mais devenant très clairsemé à l’Est, sapins de 20 ans. Aucune exploitation, les arbres sont trop jeunes. Nombreux sentiers. De temps en temps bovins en pâture à 150 m du nid.
7. Pilat. Cret de la Perdrix : Vallée peu encaissée d’1 km de long, couverte de sapins serrés et d’âge variable, difficilement exploitable à cause des cailloux. Nids sur sapins centenaires de 35 m de hauteur. Aucun sentier. Du sol on ne voit pas les oiseaux.
8. Pilat. La Jasserie : Large inflexion à faible pente, couverte de beaux sapins, facilement exploitables, nombreux sentiers en sous-bois, d’où l’on ne voit pas les oiseaux.
9. Pilat. Les trois dents : Large inflexion en pente de sapins serrés et élevés exposés à l’Est.
10. Saint-Sauveur en rue : Large inflexion de sapins serrés et élevés exposée au Nord. Exploitation facile.
11. Pilat. Les trois dents (2) : Petite inflexion, la ligne de plus grande pente est plus concave que les lignes de niveau. Au milieu d’une large pente boisée de vieux sapins. L’inflexion, en partie artificielle, est due à l’arrêt brusque de la forêt au contact d’un éboulis en amont. Nids en bordure de l’éboulis.

Recherche des aires

Pour rechercher une aire nouvelle, je procède de la façon suivante: une journée de prospection en motocyclette me permet de découvrir les endroits suffisamment sauvages pour pouvoir servir de cantonnement à un couple de Circaètes. Une journée d’observation à très large champ de vue me permet de juger s’il y a des Jean-le-Blanc dans cette région; c’est alors qu’au gré des circonstances, je surveille tel ou tel secteur plus particulièrement. Parfois de nombreuses observations contradictoires dues, semble-t-il à des individus ou à des couples n’ayant pas de nid ou dont l’élevage a échoué, aiguillent sur de fausses pistes qui font perdre beaucoup de temps.
La meilleure période pour trouver les secteurs de nids est celle située entre l’arrivée et la ponte, car à ce moment-là les oiseaux font beaucoup d’allées et venues. Je me souviens avec plaisir de l’émotion ressentie à la vue d’un Circaète volant haut en ligne droite, que l’on suit précieusement dans le champ de la jumelle et dans lequel on voit bientôt apparaître un deuxième individu que l’on n’avait, pas d’abord remarqué. Puis les deux oiseaux virent, reviennent sur leur route et perdent, lentement de l’altitude, vont et viennent, remontent, redescendent de plus en plus bas et finalement se posent à une centaine de mètres l’un de l’autre dans l’endroit tant convoité : le secteur du nid. Dans les recherches plus tardives, il faut s’efforcer de suivre un Circaète qui porte un Serpent, mais c’est une éventualité très rare, car une fois la proie trouvée, l’oiseau rentre directement au nid et reste peu de temps en vol; il arrive aussi que le Serpent dépasse si peu du bec qu’il soit invisible même à la jumelle.
Il ne faut pas s’illusionner sur l’efficacité des conseils que nous avons donnés sur la recherche des nids. Le point d’observation idéal est souvent impossible à trouver; il est bien difficile de ne pas se laisser distraire après deux heures d’observation vaines par le spectacle d’une Buse ou d’un Milan passant dans le voisinage et c’est toujours à ce moment-là qu’arrivera ou partira le Circaète attendu; ainsi, en 1946, il m’a fallu huit journées d’observation dans les deux vallées d’Aurec pour trouver le secteur du nid. Actuellement j’attribue cet échec à une mauvaise interprétation des faits, à de trop fréquents changements de place, au territoire surveillé trop étendu, et à l’attention distraite par d’autres oiseaux. Il faut noter que les Circaètes ne fréquentent pas au hasard leurs divers domaines de chasse, de promenade ou de repos; ils reviennent plusieurs fois consécutivement sur le même terrain, de sorte qu’on peut les y rencontrer 5 ou 6 fois en 48 heures, et après ne plus jamais les y retrouver. Cette habitude lance l’observateur sur de fausses pistes.
Au Pilat, nous avons observé en 1946 durant huit journées à 2 km de deux nids avant de les découvrir. On doit considérer comme un indice favorable un Circaète qui, après avoir évolué plusieurs minutes, finit pas s’abaisser et se poser à l’endroit présumé, ou encore plus favorable : deux Circaètes faisant cette manoeuvre; un Circaète portant une proie se dirigeant directement vers l’endroit présumé et y descendant rapidement; un Circaète perché s’envole et se repose plus ou moins rapidement à moins de 100 m d’où il est parti.
Doivent être considérés comme indices suspects: un Circaète volant horizontalement, qui finit par se percher sans avoir longtemps évolué et reste longuement immobile; un Circaète non dérangé quitte le lieu présumé sans retour en arrière et sans prendre d’altitude dans le voisinage immédiat. Notons que le Circaète ne passe pas obligatoirement la nuit dans le secteur du nid; donc l’envol matinal, qui a lieu vers 8 heures, comme Ie coucher à la nuit tombante, ne sont pas du tout une indication de la proximité du nid.

Construction de l’aire

Une fois installé dans le secteur de son choix, le couple commence à construire son aire, très rapidement, semble-t-il, dès le lendemain de son arrivée. Il choisit pour cela un arbre assez éleve, mais surtout comportant une plate-forme convenable; si parfois le couple utilise le sommet tronqué d’un arbre (6 observations), cette plate-forme étant idéale pour atterrir, mais n’offrant aucune protection contre le soleil et contre les regards, il utilise le plus souvent une branche latérale ou une fourche plus ou moins éloignée du tronc et du sommet; c’est une affaire d’opportunité, pourvu que l’accès soit toujours très dégagé, ce qui exclut une aire placée dans le centre de l’arbre contre le tronc. En général, l’arbre n’est pas isolé et presque tous les nids observés étaient dominés à moins de 10 m par d’autres arbres sur lesquels nous avons installé nos appareils de prises de vue. La hauteur au-dessus du sol est très variable et si le terrain a un relief très accusé ne signifie pas grand’chose; parfois à moins de 20 m du pied de l’arbre du nid on peut voir à l’intérieur. Le nid le plus bas se trouvait à 4 m du sol sur un pin. Le plus haut à 32 m sur un sapin. Je n’ai pu observer qu’une seule fois la construction du nid car elle est de courte durée et le plus souvent le nid est terminé lorsqu’on le découvre. C’était le 15 mars à Bas-en-Basset, c’est-à-dire fort peu de temps après l’arrivée du couple. L’un des individus, probablement la femelle, est beaucoup plus actif que l’autre; le mâle ramasse des brindilles, mais il ne les porte pas directement au nid et se perche à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’il perdre la branche transportée. Par contre, une autre observation faite de très loin et dans de mauvaises conditions laissait à penser que la femelle reste au nid et que le mâle lui apporte des branches qu’il va chercher par terre à moins de 100 m de l’aire. Le transport des branches se fait dans le bec. Plusieurs observations me font penser que la construction du nid est très rapide : ainsi à Aurec je n’ai jamais pu observer de transport de branches; en 1947, le 16 mars, j’observe un couple ayant choisi un secteur de nid. Le 28 mars, un violent orage jette l’oeuf en bas du nid ; le 6 avril, le couple abandonne le nid à la suite d’un dérangement et s’installe à 1 km de là dans l’autre vallée. Le 10 avril le nouveau nid est déjà terminé. Le nouvel oeuf a été pondu entre le 20 et le 27 avril (ponte de remplacement).
A Bas-en-Basset, en 1949, un couple avait choisi son cantonnement avant le 17 mars; le 1er avril il avait abandonné sa première aire, qui était à peine ébauchée, à la suite d’un dérangement dont la date est malheureusement inconnue, et avait terminé un autre nid dans une vallée voisine. A Bas-en-Basset, en 1948, je visitais un nid le 15 mars, qui était déja bien avancé. L’aire terminée est assez petite et mesure de 50 cm à 1m de diamètre et 20 cm d’épaisseur environ; elle est formée de branchettes sèches de la taille d’un crayon et de 30 à 50 cm de longueur; on y rencontre souvent des tiges de ronces sèches avec leurs épines et de plus de 50 cm de long. La cuvette est soigneusement tapissée de branchettes vertes de sapin ou de pin ou même d’arbres à feuilles de 5 à 10 cm de longueur; elle est très accusée et profonde, mais, vers le mois de juillet, il peut arriver qu’elle n’existe pratiquement plus et le nid est devenu sensiblement plat; les branches vertes ont séché et les nouvelles sont déposées n’importe comment. Sur les branches voisines et sur le pourtour de l’aire il y a souvent quelques plumes de duvet blanc qui sont visibles d’assez loin et qui peuvent servir à le repérer.

Accouplement

Une fois l’aire construite, les oiseaux n’y vont presque plus mais demeurent dans le voisinage, où ils restent perchés des heures au même endroit. Quatre ou cinq fois par jour ils partent se promener ou chasser et c’est à leur retour qu’a lieu le plus souvent l’accouplement, toujours au voisinage des nids. Celui-ci a lieu de deux à cinq fois par jour suivant le temps. En voici une observation typique : 31 mars 1946 à Aurec.
14 h 55 : le couple, qui a disparu depuis une heure, se présente soudain à l’entrée de la vallée du nid, assez haut; les deux oiseaux évoluent sur la croupe, perdant de l’altitude, car le vent est nul et les ascendances doivent être faibles; la femelle (identifiée à ses rémiges manquantes) est poursuivie avec acharnement par deux Corneilles qui réussissent à peine à la faire dévier de sa route; cependant elle perd de l’altitude et se rapproche de moi; la voici qui réussit à trouver une ascendance; elle remonte rapidement et passe juste au zénith; couché par terre, je jouis de cette vue magnifique dans mes jumelles; je note qu’il manque non seulement la troisième rémige de l’aile gauche, mais aussi qu’une de l’aile droite est raccourcie. Finalement elle retourne au-dessus du nid et vole de conserve avec le mâle, lequel descend lentement et se pose sur un arbre. Une minute après, la femelle se pose sur un pin à 150 m du mâle. Il est 15 h 10.
15 h 20 : le mâle s’envole et cherche à prendre de l’altitude; il va même jusqu’à battre des ailes ! A grand-peine il a réussi à gagner 100 m, puis il redescend et se pose à 50 m de la femelle.
15 h 30 : le mâle s’envole et se pose tout à côté de la femelle; ce n’est qu’au bout de 5 minutes qu’il saute sur son dos; la femelle d’ailleurs s’est baissée et l’accouplement a lieu avec quelques cris et de grands battements d’ailes, du mâle surtout. Une fois l’opération terminée, celui-ci reste bien tranquillement perché sur la femelle, qui ne parait pas trouver la chose à son goût. La tête penchée en avant, à demi-accroupie elle a un air pitoyable; elle commence à remuer et à se balancer sur ses pattes; le mâle déséquilibré s’envole et va se reposer plus loin, tandis que la femelle s’ébroue; c’est la troisième copulation depuis le matin.
Seul le mâle d’Aurec reste perché toutes les fois sur sa femelle: c’est d’ailleurs ainsi que je me suis assuré que c’est le même depuis que je l’observe.
Le 27 mars 1948, au Bessat, lors d’un accouplement, le mâle s’était perché à côté de la femelle, mais en lui tournant le dos, sur la même branche; il se retourne et se trouve face à face avec elle, puis il saute sur son dos, mais naturellement, ne se trouve pas dans la position voulue, il fait alors lentement et délicatement demi-tour d’un air vraiment peu pressé et finalement l’accouplement a lieu normalement.
Pendant toute la période qui va de l’arrivée des oiseaux à la ponte, le mâle apporte de temps en temps des serpents à la femelle; il les lui donne sur les arbres du secteur du nid, mais rarement sur le nid lui-même.

Promenades

Nous étudierons plus loin la chasse, pour le moment voyons en détail les deux autres activités, c’est-à-dire la promenade et la défense du territoire.
Par promenade nous voulons dire que les Circaètes volent uniquement pour le plaisir de voler.
Après une pénible et infructueuse séance de chasse, les serpents ne sortant pas beaucoup par temps froid et venté, le Circaète exaspéré d’avoir fait l’équilibriste sur une ascendance irrégulière à grand renfort de coups de queue vers le ciel et de coups d’ailes in extremis, abandonne la lutte et se laisse emporter librement par le vent. Il va et vient de montagnes en vallées, de col en plaine, toujours plus haut, c’est à croire que le ciel entier est rempli de courants ascendants. Mais même dans ses jeux, le Circaète évite l’exubérance ; il ne pique pas comme les Buses ou les Milans noirs, il ne fait pas d’acrobatie comme les Faucons; si l’ascendance est trop forte, il referme un peu les ailes pour ne plus monter, ou même descendre, mais lentement : la seule fantaisie qu’il se permette est d’exécuter un vol en feston tel que nous l’avons décrit par ailleurs. On peut le voir foncer en ligne droite d’un air décidé et au bout de quelques kilomètres faire demi-tour et, non moins décidé, revenir à son point de départ, ou bien on peut le voir évoluer entre deux sommets à 200 m d’altitude pendant 20 minutes; ces allées et venues sans rime ni raison sont très déroutantes pour l’observateur qui cherche à déduire quelque chose de chaque observation.

Défense du territoire

S’il est un animal insociable, c’est bien le Jean-le-Blanc dans sa période de nidification. Dès qu’un autre individu apparaît dans son champ de vue, le Circaète prend son vol (sauf parfois la femelle si elle couve, et si son mâle est là pour la défendre) et va à la rencontre de l’intrus en poussant de grands cris; il adopte alors une attitude de vol très particulière déjà décrite et rapidement se trouve au voisinage de l’oiseau qu’il poursuit; tous deux tournent et évoluent en tous sens, l’un poursuivant l’autre et, exceptionnellement, l’attaquent. Mais là encore ils restent d’accord pour ne pas faire de manoeuvre trop brusque et les acrobaties sont exclues. De cette façon, ils gagnent rapidement une assez grande altitude et la poursuite continue jusqu’à perte de vue. Une demi-heure après, on voit parfois revenir le glorieux protecteur du cantonnement; ces manoeuvres sont plus acharnées au voisinage de l’aire et au début de la rencontre car, après quelques minutes de poursuite, les oiseaux abandonnent leur attitude de vol spéciale. Ces rencontres peuvent aussi bien avoir lieu loin du nid; on observe alors l’attitude de vol spéciale et les cris chez un seul ou chez les deux individus. Nous avons baptisé ces évolutions les « sarabandes ». Les sarabandes sont plus fréquentes au mois de mars et avril; elles dépendent aussi de la densité des Circaètes dans le cantonnement.
Pour donner une idée de la fréquence de ces sarabandes, nous estimons que les couples autres que le couple d’Aurec passent environ un tiers de leur temps de vol à cet exercice (le couple d’Aurec étant plus isolé est moins sujet au dérangement par des intrus). Outre ces sarabandes, les intrus peuvent parfois manifester une plus grande agressivité. Ils vont parfois se poser au voisinage de l’aire, dont les propriétaires défendront l’accès : le mâle par ses cris et ses intimidations aériennes, qui se réduisent à peu de chose, et la femelle par l’occupation calme et décidée du nid attaqué. Trois fois, nous avons pu observer que les choses tournèrent plus mal. A Bas-en-Basset, peu après le 22 mars, un couple abandonna son nid à la suite d’un dérangement causé par un bûcheron; il alla s’installer à 1 km de là dans la même vallée et entreprit aussitôt de construire une nouvelle aire, qui se trouvait terminée avant le 4 avril. Ce jour-là, le couple prit conscience qu’un autre couple s’était installé et avait construit son nid à 150 m de là, ce qui était évidemment inadmissible. Le plus étonnant fut qu’il ait attendu ce jour pour s’en apercevoir. Dès lors les quatre oiseaux ne se quittèrent plus et se poursuivirent avec acharnement. A 12 h 15, la femelle regagne son nid pour le protéger, mais l’autre femelle vient s’y poser et il m’est impossible de voir ce qui s’y passe exactement. Il est incontestable que les deux oiseaux se battent, mais sans grand acharnement, car ce n’est que par instant qu’on peut voir des battements d’ailes; pendant de longs moments tout semble immobile. A 12 h 35, un des mâles qui assiste de loin au combat s’en va, et ce n’est qu’à 13 h 15, soit au bout d’une heure, que la femelle abandonne la lutte, poursuivie avec acharnement par sa victorieuse voisine. Les deux ennemies sont donc restées une heure face à face ; on appréciera encore par là la nonchalance de l’espèce. Par la suite, la femelle évincée fit, ainsi que son mâle, quelques apparitions au-dessus de son ancien cantonnement, mais sans s’en approcher. Nous avons décrit ailleurs ce qui s’est passé au Pilat le 9 mai 1949, où un mâle renversa un intrus qui s’était perché non loin de son aire. Au Grand Bois, le 7 avril 1949, mon frère, situé au pied d’un nid, s’est assuré de la présence de trois Circaètes ensemble pendant un bon moment dans l’aire.
Un de ces oiseaux transportait un serpent dans le bec; il n’a malheureusement pas été possible de voir ce qui se passait exactement.

La ponte

Sur 18 pontes observées, il ne s’en est trouvé aucune qui dépasse un seul oeuf. La date de la ponte est variable d’un couple à l’autre, mais semble constante pour un couple donné; c’est ainsi que le couple d’Aurec a pondu pendant les années 1945, 46, 47, 48, 49, 50, à une date très voisine du 28 mars. Les autres couples ont pondu à des dates s’échelonnant entre le 1er avril et le 1er juin.
Voici les données établissant à peu près l’époque de ponte :
Aurec, 1945. Envol du jeune le 22 juillet : ponte 29 mars.
Aurec, 1946. Poussin au 11 juin avec quelques plumes brunes perçant son duvet : ponte 29 mars.
Aurec, 1947. Oeuf tombé au pied de l’arbre renversé par un ouragan (28-29 mars): ponte 28 mars.
Aurec, 1949. Oeuf vu 30 mars : ponte 29 mars.
Aurec, 1950. La femelle tient le nid le 29 mars : ponte 29 mars.
Bas-en-Basset, 1947. Jeune au nid le 24 juillet : ponte 7 avril ?
Bas-en-Basset, 1948. Oeuf le 23 avril; au 10 mai l’embryon pesait 20 g : ponte vers 22 avril ?
Bas-en-Basset, 1950. Jeune d’environ 18 jours le 4 juin : ponte 31 mars.
Pilat 1948. La femelle tient le nid : 11 avril : ponte 11 avril ?
Pilat-le-Bessat, 1948. Jeune de 5 jours le 6 juin : ponte 15 avril.
Solignac, 1950. Jeune au nid 23 juillet : ponte 8 avril ?
Solignac, 1951. Poussin de 6 jours le 3 juin : ponte 11 avril.

Incubation

La durée d’incubation est très difficile à vérifier; il faut un heureux concours de circonstances pour pouvoir s’assurer a la fois de la date de la ponte et de celle de la naissance. La seule observation que j’aie pu faire est celle d’Aurec en 1950 : l’oeuf fut pondu le 29 mars, ceci est établi par les faits suivants :
le 25 mars à Aurec je constatai de fréquents déplacements du mâle et de la femelle ensemble.
Le 29 mars à 14 h la femelle étant dans son aire le mâle vint se poser sur le nid ; à 14 h 05 il le quitta, fit un long vol mais revint s’y poser; il y resta 5 minutes puis quitta les lieux.
A 14 h 40 la femelle quitte le nid et revient dans le secteur à 15 h 10; elle se dirige après 2 stations sur des arbres voisins à 15h 15 vers le nid.
Habituellement les oiseaux ne fréquentent pas le nid, quand la ponte n’est pas faite. Lorsque je visitai le nid le 13 mai, je trouvais l’oeuf légèrement percé et l’on pouvait entendre le jeune crier à l’intérieur; je suppose qu’il a éclos le lendemain. Ceci donne le chiffre de 47 jours d’incubation.
Un oeuf incubé depuis un mois pesait 136 grammes. Nous laisserons le soin aux écologistes de décrire plus précisément que nous le ferions nous-mêmes l’oeuf du Circaète.
L’incubation est assurée par le mâle et la femelle; toutefois, cette dernière assure la plus grande partie du travail.
Le 10 mai 1949, aux Trois Dents, à 14 h 25, la femelle qui couvait dans le nid a disparu sans que je ne la voie; presque aussitôt le mâle arrive et vient couver; je me dirige alors vers le nid dans l’intention d’installer du matériel photogaphique au pied du nid, sachant pouvoir le faire sans me faire remarquer par les oiseaux. Malheureusement, je me trouvais nez à nez à 30 m de distance avec une énorme boule de plumes qui était la femelle. Celle-ci ne m’avait pas vu car sa tête était légèrement cachée par une branche de sapin; elle était occupée à des soins de plumage. Je me retirais donc délicatement, tout heureux de ne pas l’avoir dérangée, mais, ce faisant, je me plaçai maladroitement en vue du nid et le mâle m’aperçut; il s’envola aussitôt. La femelle, n’ayant pas compris ce qui se passait, vint immédiatement le remplacer sur le nid et m’aperçut de la même façon. Je quittai immédiatement les lieux, mais malheureusement 1h 30 après, les oiseaux n’étaient pas revenus.
Le mâle assure toujours le ravitaillement de la femelle en lui apportant plusieurs fois par jour des serpents qu’il lui remet soit sur le nid, soit sur un arbre voisin; après quoi, il la remplace à la couvée pendant quelques minutes, parfois même quelques heures. Le seul fait que Ia femelle abandonne son nid amène spontanément Le mâle à la remplacer.
Le 6 juin, au Bessat, nous avons observé une petite scène amusante : à 12 h 45, le mâle arrive avec un serpent et se pose sur un arbre voisin; la femelle couvant se lève aussitôt toute ébourriffée et reste une minute a se détendre les jambes : il y avait plus de 3 heures qu’elle couvait. Puis elle s’envole et va se poser sur un grand arbre où elle reste à se gratter et à se secouer pendant 5 bonnes minutes; finalement elle s’envole vers le mâle, qui décolle en même temps qu’elle; il se croisent et échangent leurs perchoirs. Cinq minutes après, la femelle revole vers le mâle, mais celui-ci décolle et va se poser ailleurs. Ce manège recommence trois fois de suite. Finalement la femelle réussit à se poser tout près du mâle. Mais celui-ci ne daigne pas lui tendre le serpent; il décolle et après un assez long vol, pendant lequel la femelle a fini par regagner son nid, il va se poser au bord du nid; la femelle saisit aussitôt le serpent mais tire en vain; le mâle ne veut pas le lâcher; il s’agite et semble vouloir avancer vers le nid; chaque fois que la femelle s’avance pour saisir le serpent, le mâle se recule pour l’en empêcher. Finalement, la femelle sort, du nid et se perche sur une branche voisine; le mâle s’avance alors et dégurgite tout seul son serpent au milieu du nid; son épouse, qui n’y comprend rien, retourne couver après son départ sans toucher à l’appétissante proie qu’il lui a apportée.
Pendant la couvée, le mâle continue à apporter de temps en temps quelques branches vertes qu’il cueille sur les arbres voisins; mais il en cueille plusieurs avant d’en apporter une.
Si l’éclosion n’a pas lieu pour une cause ou pour une autre (mort de l’oeuf), les oiseaux continuent à couver. Ainsi, le 30 juin 1949, au Pilat, nous avons trouvé un Circaète en train de couver un oeuf vraisemblablement pondu le 15 avril, en tous cas certainement le 9 mai; à Saint-Sauveur en 1950, un couple a couvé son oeuf pendant trois mois et ne l’a abandonné qu’à la suite de notre visite.

L’élevage du jeune Circaète

le plus jeune Circaète que j’eusse aperçu devait être âgé de trois ou quatre jours; il était couvert d’un beau duvet entièrement blanc, ses yeux étaient entr’ouverts et l’iris de couleur blanchâtre; il poussait des petits cui-cui-cui plaintifs et baillait fréquemment. Sa mère le nourrit en lui donnant de toutes petites becquées de serpent.
Au bout de 15 jours, il se tient bien debout. Au bout de 25 jours, apparaissent les premières plumes brunes sur les ailes et l’oiseau, reconnaissant l’homme ou du moins le danger qu’il présente, se cache en s’aplatissant au fond du nid.
Au bout de 35 jours, il lui reste juste quelques duvets sur la tête.
Après 45 jours, il est entièrement brun et a son plumage définitif.
Après 70 à 75 jours, il quitte son aire. Son iris se colore de plus en plus à mesure qu’il grandit; on constate d’ailleurs que les adultes ont l’iris encore plus jaune-orange que le jeune, même au moment de son envol. Il essaie déjà ses ailes à l’âge de 45 jours. Sa mère le couve jusqu’à ce qu’il soit en possession de son plumage définitif c’est-à-dire jusqu’à 40 jours environ; après quoi elle se contente de le protéger contre le soleil, en se mettant entre le soleil et lui, Le jeune, lui, s’abrite parfois sous sa poitrine.
Ses parents lui apportent entre 0 et 5 serpents par jour; mais en moyenne il en dévore deux ou trois. Et il est très fréquent de trouver des Serpents morts dans l’aire, mais ils n’y pourissent jamais, car les parents savent les dévorer avant. Je n’ai jamais observé de résidu de repas, soit dans le nid, soit au pied, comme le signale HUGUES dans “La Nature” d’avril 1935. Nous n’avons jamais observé comme ZEBE un apport de liquide au jeune par les adultes malgré plus de 200 heures d’observation au voisinage immédiat du nid d’Aurec en juillet et août 1949, nid qui était pourtant situé sur la cime tronquée d’un pin, donc très exposé au soleil. Mais les nécessités de nos prises de vues cinématogaphiques ne nous ont pas permis d’observer toujours une conduite très discrète, ce qui a pu modifier le comportement naturel des oiseaux.
Lorsque la femelle saisit un serpent que lui apporte le mâle, elle écarte légèrement les ailes et les anime d’un frétillement rapide ; nous n’avons jamais vu le jeune prendre une attitude semblable. A plusieurs reprises, nous avons retrouvé des jeunes dans le nid, dont le ventre était rongé par des parasites divers, entre autres des Fourmis, au point d’être sanguinolent. Pendant la semaine qui précède son envol, le jeune se pose sur les branches voisines du nid, avec circonspection; pour aller du centre de son aire à une branche se trouvant à 1m50, il lui faut bien une demi-heure. Nous n’avons pas pu observer le premier vol dans des conditions normales : deux fois par contre l’oiseau s’est envolé sous nos yeux, effrayé par notre présence.
La première fois, le 22 juillet 1945, à Aurec, il s’envola brusquement après être resté pendant plusieurs secondes hésitant; la deuxième fois, à Aurec, en 1948, le 19 juillet, il s’envola en me voyant grimper à l’arbre; au Pilat, le 5 août 1948, le jeune s’envola sous mes yeux du haut de son arbre de 35 m, mais il volait très mal et accrocha un arbre voisin; le choc le mit en vrille et il se rattrapa sur une branche 20 m plus bas. Le 8 août, je le remarquai perché au sommet d’un grand arbre, s’exerçant au vol sur place dans le vent. Lorsqu’un de ses parents arriva il me prouva par un beau vol plané qu’il avait fait de très rapides progrès. Si on ne les avait pas dérangés, ces oiseaux seraient sûrement restés encore quelques jours dans l’aire, mais je pense qu’un coup de vent, une perte d’équilibre sur une branche, ou même une brusque décision, provoque le premier envol.
Pendant le mois d’août, le jeune Circaète exécute des vols dans le voisinage de son nid en s’éloignant plus ou moins; je pense qu’il n’accompagne pas encore ses parents en chasse, mais j’ai peu d’observations pendant cette période. Le 1er novembre 1946, j’observais un jeune qui volait à longueur de journée sans s’éloigner de plus de 500 m de son nid. Le soir même, il fut abattu par des chasseurs. Le 5 octobre 1949 un chasseur a abattu un Circaète dans une vallée habituellement fréquentée, mais où je pense qu’il n’y avait pas de nid. Le 6 octobre 1949, une journée d’observation à Aurec ne m’a permis d’observer aucun Circaète; le même jour une personne digne de foi déclarait avoir observé un vol de cinq Circaètes au Pilat.
Il est certain en tous cas qu’une forte proportion des jeunes de l’année sont victimes des chasseurs amateurs du sinistre « beau coup de fusil ».

Nourriture du Circaète

Le temps a une grosse influence sur la facilité qu’a le Circaète pour trouver sa nourriture; par période de mauvais temps, il peut rester certainement plusieurs jours sans manger. Pour chasser, l’oiseau vole sur place à une quarantaine de mètres au-dessus du sol et descend de temps en temps pour ramasser une proie à terre; il est très probable qu’il ramasse un certain nombre de petites proies qu’il avale tout de suite, mais ce ne sont que les gros serpents qu’il ramène à son aire. En effet, sur 70 proies que nous avons vu ramener au nid, il ne s’est trouvé que deux lézards verts et un chardonneret, Carduelis carduelis. Toutes les autres proies étaient des serpents.
34 de ces proies ont pu être vues d’assez près. La proportion s’établit ainsi :
Couleuvres zaménis __________ 12
Couleuvres à collier ___________ 9
Couleuvres indéterminées ______ 10
Couleuvres lisses _____________ 2
Vipère ____________________ 1
Ces proportions ne correspondent pas du tout à celles des serpents qu’on rencontre habituellement dans cette région. C’est ainsi que la proportion des vipères rencontrées dépasse 80% tandis qu’on ne voit pas de zaménis en dépit du fait que les terrains dans lesquels nous avons circulé semblent être à peu près les mêmes que ceux où chassaient les Circaètes.
Les serpents sont tous ingurgités la tête la première, la queue dépasse toujours du bec, mais parfois de 1 cm seulement, tandis que d’autres fois plus de 60 cm de serpent pendent du bec de l’oiseau.
Le Circaète en général saisit sa proie dans les serres et l’ingurgite en vol, tout de suite après avoir décollé. La dégurgitation dans le nid peut se faire sans aide, mais en général malgré la traction énergique du jeune ou de la mère, elle est assez pénible; on le comprendra sans peine lorsque nous préciserons qu’il n’était pas rare de trouver dans le nid des couleuvres zaménis de 1 m 70 de longueur.
Tous les Serpents avaient la tête écrasée et souvent une partie de l’animal manquait.

Variété blanche du Circaète

On sait qu’il existe une variété plus claire du Circaète; la tête en particulier est presque entièrement blanche et le brun du corps est beaucoup plus clair, le jabot foncé est absent. Nous avons eu maintes fois l’occasion d’observer cette variété vraiment splendide et qu’on arrive à reconnaître d’assez loin. En vain, nous avons cherché un nid ou un cantonnement. Nous avons remarqué qu’il y avait une assez forte proportion de Circaètes blancs dans les intrus qui venaient déranger un couple près de son aire. Dans les observations panoramiques lointaines, la proportion de Circaètes blancs observés était de l’ordre de 10%. Sur le minimum de 10 couples que nous avons étudiés (en admettant que chaque année ce fût le même mâle et la même femelle), il aurait donc dû se trouver deux individus blancs; or, il ne s’en est trouvé aucun. Bien que ce fait puisse être une simple coïncidence, il y a tout de même une présomption pour que les Circaètes blancs soient des individus errants et non appariés. Il est possible aussi que leur densité de peuplement soit plus faible que 10%, mais étant errants ils se feraient davantage remarquer.
Les dates d’observation de cette variété blanche sont les suivantes : 17 mai, 27 mai, 1er juin, 25 juin, 27 juin, 15 juillet, 29 août.

Rapports entre l’homme et le Circaète

Aussi bien au Pilat que dans les gorges de la Loire, un Circaète perché s’enfuyait lorsqu’il voyait l’homme à environ 120 à 170 m. Jusqu’à 400 à 600 m, je suis persuadé que la présence de l’homme influe sur son comportement, par contre le bruit n’est pas suffisant pour provoquer un réflexe de fuite chez le Circaète; ainsi au Pilat, le 18 mai 1948, nous nous trouvions, mon frère et moi, installés en observation au sommet de deux arbres distants d’une cinquantaine de mètres au moment précis où nous étions en train de converser, en criant évidemment très fort; un Circaète qui ne nous avait pas vus est venu se percher sur la branche même sur laquelle j’étais assis. Il est impossible de supposer que cet oiseau ne nous ait pas entendus.
Au Pilat, le 18 mai 1948, des bûcherons ont abattu deux arbres à moins de 50 m du nid, sans que la femelle l’abandonne.
Trois fois, j’ai eu l’émotion de voir se poser un adulte sur le nid alors que j’étais sur un arbre voisin à moins de 10 m en train d’installer un appareil de photographie.
A Saint-Sauveur en Rue, nous rendions visite à un nid que nous croyions abandonné et grimpions à l’arbe sans aucune précaution, criant à plusieurs reprises. Ce n’est qu’arrivés à 1 m 50 du nid que la mère s’envola. Cette fois-là elle ne pouvait pas me voir; lorsque par contre la femelle voit arriver un homme elle s’envole en général entre 100 et 40 m, même si elle couve; tandis que si elle ne nous voit pas, quel que soit le bruit que l’on fasse (cris, battements de mains, sifflet), il était impossible de la faire s’envoler. Par contre, le 11 mai 1949, au Pilat, deux Circaètes, dont l’un était en train de couver, s’enfuirent brusquement en nous voyant alors que nous étions à plus de 250 m du nid. Il faut en chercher l’explication dans le fait que de bruyants travaux de bûcherons avaient lieu depuis une semaine à moins de 100 m du pied du nid; cette activité n’avait pas réussi à les faire fuir car ces bûcherons étaient invisibles pour eux.
Habituellement, lorsque les adultes sont dérangés, ils survolent les lieux entre 150 m et 300 m d’altitude, parfois en criant. On les perd de vue, souvent au bout d’une demi-heure à une heure; parfois ils reviennent au bout de deux heures. Aussi avions-nous estimé qu’il était important de ne pas rester plus de 1h 3/4 près du nid et si possible moins de 3/4 d’heure. En général, après un dérangement de une à 2 heures d’une aire contenant un oeuf, les parents reviennent une à trois heures après.
Nous avons souvent observé des retours beaucoup plus longs : après 6 heures, un jour, sur un nid placé entre les trois troncs d’un sapin à trois têtes et dont nous avions dû couper deux d’entre elles. Le plus court retour constaté fut sur le même nid en 15 minutes. Il est probable que si l’on ne grimpe pas à l’arbre ou à un arbre voisin de l’aire, le retour doit se faire plus rapidement, de l’ordre de 15 minutes à une heure. Il faut se garder d’attacher à ces chiffres plus de valeur qu’ils n’en ont car dans ce domaine toutes les surprises sont possibles et les péripéties du retour ne sont jamais les mêmes.
Deux fois nous avons, mon frère et moi, été survolés durant une dizaine de minutes, par un adulte à moins de 40 m. Il semble que cela se produise parfois lors du premier dérangement d’un couple ayant un jeune. Lorsque nous étions dans un abri-cachette, entre 6 et 8 m du nid, nous avons pu observer les réactions des parents aux bruits divers. Il est évident qu’à cette faible distance, les bruits inquiètent davantage les oiseaux : le ronronnement du moteur d’une caméra les intrigue au début, mais au bout de quelques secondes, ils n’y font plus attention. Le déclic d’un appareil de photo peut les inquiéter davantage, et quatre ou cinq déclics se suivant à peu d’intervalles peuvent provoquer la fuite. Après quelques séances, ils s’habituent aux bruits divers et ne regardent plus l’abri-cachette; on peut y tousser, y parler, sans provoguer de réflexes de fuite.
Pour éviter les dangers d’abandon, il ne faut pas déranger plus de trois fois un couple pendant la période d’incubation et choisir pour ces dérangements un temps chaud et ensoleillé; ne pas déranger après 13 h de manière à laisser aux adultes le temps de revenir avant la nuit; ne pas déranger non plus au début de l’incubation. Lorsque le jeune est en duvet, se méfier du temps trop chaud ou trop froid et des brusques changements de temps. La pluie est mortelle pour le jeune en duvet. Lorsque le jeune a son plumage définitif, l’abandon complet est hautement improbable, ce qui n’empêche pas de s’entourer de toutes les précautions possibles. Ce n’est qu’au cours de cette période que nous avons construit des abris-cachettes au voisinage immédiat de l’aire.
Voici le processus que nous avons adopté pour exécuter des prises de vues photographiques et cinématographiques de l’aire du Circaète.
Lorsque l’oeuf a été couvé une quinzaine de jours, nous faisons en début de matinée, vers 10 h par beau temps, le premier dérangement; si nous découvrons le nid sans avoir été obligés de le dépasser vers l’amont, la couveuse, ne nous voyant pas, ne l’a en général pas encore quitté. L’un de nous se place en-dessous pour filmer l’envol tandis que l’autre monte en amont jusqu’à ce que la femellé l’aperçoive et s’envole. Ensuite nous repérons l’emplacement des appareils de prises de vues et mesurons les distances, coupons les branches gênantes soit vers le nid, soit vers l’arbre de prise de vue, déterminons un emplacement lointain d’où l’on puisse voir confortablement le nid à la jumelle; ceci prend en général 3/4 d’heure après lesquels nous quittons le secteur du nid. Une semaine après, nous installons sur l’arbre voisin de l’aire nos appareils de prises de vues télécommandées en les recouvrant de toile imperméable verte et de quelques branches pour les camoufler; nous déroulons le fil de commande jusqu’à atteindre le poste d’observation déjà repéré à environ 300 à 600 m du nid. Ce dérangement dure environ deux heures. Il est souvent nécessaire de faire un court dérangement par la suite soit pour rectifier un dispositif, soit pour remonter une caméra, soit pour tout enlever s’il se présente quelque difïiculté.
Le dérangement suivant ne se fait que lorsque le jeune est né. Nous emportons alors tout le matériel pour nous attaquer à un autre nid. Sur cette nouvelle aire, on s’offre quatre dérangements espacés, si possible, de plusieurs jours : un dérangement de reconnaissance, ou d’installation de matériel, un pour imprévus au remontage de caméra, un d’enlèvement de matériel. Comme on a pu le voir, il faut éviter de déranger un nid que les oiseaux ont construit dans un endroit défavorable, par exemple près d’une coupe de bois. Il ne faut pas hésiter à consolider une aire qui ne paraîtrait pas assez solide, ainsi à Bas en 1950 un nid mal construit s’est écroulé, entraînant la perte du jeune. Les parents ont hâté sa chute en essayant de le surélever par un apport de brindilles à mesure qu’il s’effondrait.
Lorsque le jeune est recouvert de ses plumes définitives nous adoptons la méthode classique de l’abri-cachette; nous le construisons en deux séances de deux heures; nous l’avons toujours soigneusement camouflé, bien que les spécialistes anglais affirment l’inutilité de cette mesure; l’abri est doublé intérieurement par du tissu teinté en vert; pour les observations panoramiques, des fenêtres sont ménagées, recouvertes de cellophane colorée, mais pour le coup d’oeil dans la direction du nid, il faut être encore plus discret; nous plaquons un grillage sur lequel sont cousues de petites branchettes de pins ou de sapin formant ainsi un tapis de faible épaisseur; en approchant les yeux de cette fenêtre, on voit très bien à travers et les oiseaux ne peuvent pas vous voir, même si l’on bouge. Par la suite, pour entrer et pour sortir de l’abri-cachette, on choisit autant que possible les moments où les adultes sont absents. Les adultes s’habituent rapidement au bruit et au ronronnement de la caméra. Bien qu’ayant passé des heures en compagnie du mâle et de la femelle d’Aurec, il nous fallait faire appel à toutes nos facuItés d’observation pour reconnaître le mâle de la femelle autrement que par le comportement. On se demande alors comment un individu peut distinguer son conjoint d’un intrus et comment les mâles reconnaissent les femelles. Le jeune incontestablement savait différencier ses parents d’une Buse ou d’un autre oiseau à plus de 100 m. Il ne criait que lorsque l’oiseau qui passait au-dessus de lui était un Circaète. Nous avons constaté que lorsqu’un Circaète en apercevait un autre (ce qui n’avait pas lieu à plus de 1000 m) il se dirigeait droit vers cet individu en battant des ailes si nécessaire et à une centaine de mètres il semblait l’identifier et adopter une attitude pacifique ou agessive suivant que c’était son conjoint ou un intrus.

Expériences

A titre de curiosité, nous nous sommes livrés à quelques expériences: c’est ainsi qu’en juillet 1950 nous avons placé une couIeuvre vivante, enroulée sur une branche, plantée verticalement dans le nid de sorte que le serpent se trouvait plus haut que la tête des oiseaux. Comment les adultes vont-ils s’en emparer ? Telle était la question que nous nous posions; le résultat fut des plus déconcertants; lorsque le mâle arriva, la branche s’était inclinée et la couleuvre pendait de telle faqon que sa tête était au même niveau que la tête du Circaète; malgré cela, malgré les mouvements du serpent, le Circaète resta totalement indifférent et le regarda à peine; il se comporta par la suite toujours ainsi. Si le serpent avait été une Vipère le danger couru par le Circaète (en admettant qu’il ne soit pas immunisé) aurait été considérable.
Une autre fois, nous avions disposé à terre une Vipère à une vingtaine de mètres du nid et très facilement visible; pour plus de sûreté même on avait attaché la Vipère à un fil à coudre noir qui allait jusqu’à l’abri-cachette situé à une vingtaine de mètres et à l’aide duquel on l’agitait. L’adulte remarqua à plusieurs reprises la Vipère et la regarda d’un air intéressé mais jamais il n’alla la chercher; finalement la Vipère mourut et nous nous désintéressâmes de l’expérience. C’est alors que 4 jours après, un adulte quitta le nid, se saisit de la Vipère et la rapporta; une fois de plus, toutes les prévisions logiques étaient mises en échec.
En juillet 1950, à Aurec, nous avons placé deux jeunes Circaètes dans le même nid; ceux-ci se firent quelques prises de bec insignifiantes, lorsqu’un adulte s’annonça : il se dirigea vers l’aire comme d’habitude, mais remarqua les deux jeunes, fit demi-tour et se posa sur un arbre voisin; il cria longuement d’une voie plaintive, rappelant le grincement d’une vieille porte, et finit par s’éloigner définitivement. Nous enlevâmes un des jeunes, réalisant ainsi une substitution qui n’eut aucune conséquence, les adultes l’ayant adopté comme si c’était leur fils.

Le Circaète en captivité

Nous avons conservé quelques mois un jeune Circaète en captivité; nous nous en sommes emparé alors qu’il était âgé de 70 jours environ; on peut dire que, même après pluieurs mois, nous n’avons constaté aucune adaptation à son nouvel état, si ce n’est une crainte atténuée pour les personnes passant à quelques mètres de lui et une plus grande facilité pour accepter la nourriture qu’on lui tendait. Mis en demeure de saisir la nourriture posée à ses pieds et non plus présentés à son bec par petits morceaux, il resta huit jours à jeun avant de se décider; après trois mois, la présence de l’homme à un mètre provoquait encore parfois un réflexe de fuite; par contre dès le début, il accepta assez facilement la nourriture. Son comportement vis-à-vis des serpents était des plus déconcertant; même après un jeûne prolongé, il fut impossible de l’amener à s’envoler à la rencontre d’un serpent vivant posé à terre à quelques mètres de lui; au delà de 2 m il restait complètement indifférent; à moins de 2 m, après de longues hésitations (parfois plus d’une heure) il finissait par se diriger à pied vers le serpent et, d’un geste brusque, il le saisissait à la tête et plaqait son autre serre au milieu du corps; sa vivacité à ce moment-là était étonnante. Toutefois la conduite du jeune Circaète face aux Vipères nous a obligé, par mesure de précaution, à désarmer ces animaux avant de les lui livrer; il n’était pas rare, en effet, qu’il les saisisse par le milieu du corps, laissant leur tête libre pendant un instant; une fois même, il avala la Vipère entière la queue la première; il se recule cependant très vivement lorsque le serpent cherche à le mordre. Nous n’avons pas pu mettre en évidence chez notre oiseau un geste montrant qu’il s’attaque à un danger et non pas seulement a une proie.
Dans son aire, lorsque le jeune sent le danger, il s’accroupit au fond du nid et reste parfaitement immobile; ce n’est qu’à l’âge de 45 jours qu’il peut chercher à se défendre; il se met alors sur le dos et cherche à saisir la main avec ses serres; il est d’autant plus méchant qu’il est plus âgé, mais certains restent toujours inertes, à tel point qu’on peut les poser par terre sur le dos sans qu’ils songent à se redresser. A l’âge de 60 jours, le jeune vous reçoit debout, donne de temps en temps des coups d’ailes et fait parfois semblant de vous voler sur la tête, ce qui avec ses 1 m 70 d’envergure est assez impressionnant. Comme ses serres à cette époque sont très aiguës, baguer un jeune n’est pas de tout repos.
Du jeune Circaète que nous avons apprivoisé, nous conservons le souvenir d’un animal farouche et hostile, dépourvu de facultés d’adaptation. Combien cette opinion contraste avec l’enthousiasmc que nous a inspiré la vue de cet adrairable oiseau, doué pour le vol et dont l’air est l’élément.