Émancipation

Quarante à soixante jours vont s’écouler entre le moment où le jeune circaète quitte le nid et celui où il part en migration. Au cours de cette période, l’oiseau va apprendre à maîtriser les techniques indispensables à sa survie : celles du vol et de la chasse.
Dans les jours qui suivent l’envol, il est tributaire de ses parents. Peu actif, il se contente de rester longuement perché à proximité ou dans le vallon de naissance. Les adultes le nourrissent, plusieurs fois par jours selon BOUDOINT (c). Lui-même ne prend pas part aux séances de chasse. Ses déplacements de brève durée se limitent au secteur de l’aire. Parfois, il revient au nid et s’y couche, par temps pluvieux en particulier. Progressivement, le jeune prend de l’assurance. Poussé par la faim et peut-être la curiosité, il se met à suivre un de ses parents, mère ou père. Contrairement à ce qu’on peut penser, les adultes ne lui donnent pas de leçons de chasse. Ils se montrent d’ailleurs plutôt désintéressés par leur rejeton. L’apprentissage des actes fondamentaux se fait par imitation. CHOUSSY a observé un jeune en train de répéter les piqués effectués par sa mère. J’ai pu noter l’évolution comportementale d’un jeune en voie d’émancipation. Un 20 août, il suivait inlassablement un mâle adulte, son père vraisemblablement. Sans arrêt, il le harcelait en poussant des îuu. L’adulte ne faisait aucun cas de lui et chassait comme si rien n’était. Manifestement, le jeune ne possédait pas encore tous les gestes du vol. Lors des planés, il laissait pendre les pattes en permanence. Lorsque l’adulte faisait un vol de chasse stationnaire, il venait tourner vers lui en criant et cherchait parfois à le toucher. A l’occasion, il tentait des vols stationnaires mais sans succès. Le corps tenu en position trop verticale empêchait une sustentation durable. L’oiseau perdait rapidement de la hauteur et avait des coups d’ailes mal coordonnés. Les stations n’excédaient pas une seconde ! Trois jours plus tard, ses performances s’étaient beaucoup améliorées. Les sur-places duraient de 5 à 7 secondes. En une semaine, les progrès furent énormes. Le jeune oiseau commençait même à scruter le sol. Jusque là, la fonction cynégétique du vol stationnaire lui avait échappé. Il avait pratiquement cessé de quémander sa nourriture. Pendant sept jours, il avait suivi son père presque en permanence. Les deux circaètes restèrent cantonnés sur 500 hectares de landes pierreuses d’altitude. Un après-midi, l’adulte se mit à invectiver un autre oiseau en prenant l’attitude agressive caractéristique. Le jeune se contenta de suivre la scène sans y prendre part.
Il ne fait pas de doute que le jeune circaète apprend à reconnaître les terrains de chasse en suivant un adulte. Par imitation, il adopte les attitudes appropriées. Trois semaines après le départ du nid, les séances de vol du jeu- ne peuvent durer plusieurs heures si les conditions sont favorables. Il arrive qu’un juvénile pique sur une branchette tombée au sol et fasse mine de capturer comme s’il s’agissait d’un serpent. En raison de son acuité visuelle, on peut penser qu’il ne s’agit pas d’une méprise d’identification mais plutôt d’un comportement apparenté au jeu dont la conséquence est d’affuter l’acte de prédation. Dans la première quinzaine de septembre, voire avant, l’agitation migratoire commence à se faire sentir. Le juvénile élargit son champ de manoeuvre. Il visite les vallons voisins et tente des postes de chasse. Les adultes ne s’occupent plus de lui. Si l’un d’eux vient à passer vers lui, il est suivi. Le jeune tente alors quelques requêtes de nourriture. BOUDOINT (c) a relevé que le jeune circaète peut adopter l’attitude agressive lorsqu’un congénère de même âge traverse son territoire. En fin d’après-midi vers 16 heures, plusieurs jeunes nés dans une même région évoluent pourtant ensemble en manifestant un état d’excitation qui contraste avec leur nonchalance coutumière. Ces sarabandes durent deux heures environ, puis les oiseaux se séparent et regagnent leurs vallons respectifs. En Haute-Loire, les adultes partent en migration vers le 25 septembre, et les jeunes, six à dix jours plus tard (BOUDOINT c). Le départ des juvéniles pourrait être déclenché au cours des regroupement sociaux précédents. L’hypothèse de départ différé n’est pas généralisable, même si à la date du 12 septembre 30 % des circaètes adultes migrant par les Pyrénées ont franchi la chaîne contre seulement 10 % des juvéniles (URCUN b. Voir Migration).